l'instruction
l'écrit a-t-il trahi les paroles ?
1974, n'est pas seulement l'année de l'affaire Ranucci.
C'est aussi celle de l'affaire Tonglet-Castellano.
Elle concerne un viol dans les Calanques près de Marseille.
Le fait que Melle Di Marino soit juge d'instruction dans les deux cas mérite que l'on s'y intéresse.
similitude
L'affaire Ranucci démarre en juin 1974.
Celle Tonglet-Castellano dite "du viol des Calanques" est en août de la même année, et dans la même région.
Le procès de christian Ranucci en 1976 ne mobilise guère les ténors d'opinion. L'ensemble est traité dans la presse comme un fait divers sordide.
En revanche, 2 ans plus tard, le procès du "viol des calanques" fait l'évènement. La présence de la charismatique avocate gisèle Halimi y est pour beaucoup.
Les passions pour l'affaire Ranucci ne viendront que plus tard. Trop tard diront nous.
En 2017, "le viol des calanques" ranime les souvenirs dans un téléfilm. On recadre l'histoire de ces 2 touristes parties de Belgique, et venues passer des vacances dans le sud de la France.
France 3, la chaîne qui diffuse le téléfilm fait même suivre par un débat. En ce 19 septembre 2017, la présentatrice carole Gaessler accueille sur le plateau les 2 victimes. Ce qui nous intéresse par rapport à l'affaire Ranucci, c'est que les deux femmes offrent un témoignage sur Melle Di Marino.
Dans une affaire de viol, c'est très souvent "parole contre parole".
Reconnaissons que dans ce cas, le travail du juge d'instruction n'est pas toujours facile.
Passons sur le fait que araceli Castellano, 1ère plaignante à passer dans le bureau du juge ait trouvé Melle Di Marino "pas très chaleureuse". Le travail d'instruction se doit de garder de la distance pour garantir son objectivité.
Melle le juge veut en savoir plus sur l'attitude des 2 jeunes femmes durant cette nuit d'août 1974 dans les Calanques. Terrorisées par les 3 agresseurs, elles se sont montrées passives. Doit-on au contraire y voir une forme de consentement comme le suggère la défense ?
Si la 1ère plaignant n'apprécie guère l'accueil qui lui est faite, la 2nde plaignante, anne Tonglet tacle plus sur le fond que la forme. Elle livre ses impressions sur la manière dont sa déposition a été retenue :
"C'est une transformation de la vérité qui sortait de notre bouche. Vérité qui n'a ni été entendue, ni actée. Et ça, c'est absolument lamentable. C'est une imposture. Ne pas respecter la parole d'une victime, c'est épouvantable."
Le souvenir est plein de rancœur. L'appréciation est sévère sur cette magistrate qui aurait dit avec laconisme qu'il faut distinguer "ce qui est juste de ce qui est la justice".
Mais est-ce suffisant pour affirmer que la manière d'instruire un dossier par Melle Di Marino pèche en objectivité ?
Christian Ranucci, dans ses propos et ses écrits évoque principalement l'interrogatoire du 6 juin 1974.
La garde à vue à l'hôtel de police de Marseille.
En revanche, il n'évoque guère ses entretiens avec la juge d'instruction. Tout comme les deux entrevues avec celui qui succédera à mademoiselle Di Marino.
Maître Le Forsonney qui était présent aux séances d'instruction nous fournit l'explication. Il nous décrit un jeune homme au regard absent. Résigné, il répond en acquiesçant à chaque assertion comme s’il voulait qu’on lui fiche la paix.
L’avocat insiste sur l’apathie des réponses de son client face aux descriptions pourtant terrifiantes du meurtre. Une forme d'abandon teintée d'indifférence et de résignation.
Mais on aurait préféré que le défenseur nous relate également la manière dont les questions étaient posées.
La juge posait-elle ses questions de manière « frontale » ou « biaisée » ?
technique
Il y a deux manières de valider un procès-verbal d’interrogatoire.
Ou de chercher à l'invalider. Tout se joue à la manière de poser les questions au cours de l’instruction :
méthode frontale |
version biaisée |
|
avez-vous le 3 juin 1974 enlevée une petite-fille à Marseille ? | reconnaissez-vous avoir dit aux policiers à l’interrogatoire que le 3 juin 1974 que vous aviez … | |
êtes-vous l’auteur des coups de couteau portés à la victime ? | vos propos tenus le 6 juin 1974 au commissariat de Marseille précisent-ils que la victime a été … | |
avez-vous recouvert la victime de branchage ? |
votre déposition durant la garde-à-vue atteste-elle que des branchages … |
Evidemment, avec la 2nde méthode, celle dite « biaisée », c’est beaucoup plus facile d’obtenir un oui à chaque réponse !
On ne demande pas à christian Ranucci des détails sur l’enlèvement ou le meurtre. On ne cherche même pas à le « piéger ». Lui soumettre par exemple des informations différentes du procès-verbal pour vérifier s’il n’est pas capable d’avaliser n’importe quoi. On lui demande seulement d'acquiescer à ce qu'on lui ont fait dire les policiers.
Alors, bien sûr, ça va vite ...
Christian Ranucci reste un prévenu indifférent.
Malgré l'horreur des faits qui lui sont reprochés dans le bureau de la juge d'instruction. Cette apathie s'explique aisément.
On ne le questionne pas sur l’art et la manière d’asséner 15 coups de couteau à une fillette.
On lui demande seulement de reconnaître les propos que lui ont fait dire les policiers 5 jours avant. Il y a une distance par rapport à la nature des actes qui maintien une sorte de position de "spectateur".
On aurait aimé de jean-françois Le Forsonney qu’il nous parle plus de la manière dont la juge posait ses questions, plutôt que la façon dont répondait son client. Mais à l’époque il est un avocat de 26 ans, fraichement sorti de l’école de formation du barreau, et parfait novice en matière criminelle.
S’il se fait avoir par la juge, et que son client se fait « biaisé », on comprend qu’il n’ait pas envie de s’en vanter.
probité
Un étape de l'instruction illustre la manière dont Mademoiselle di Marino gère l'articulation des questions-réponses.
La reconstitution du 24 juin 1974 nous en offre une idée. Ce jour-là elle se trouve dans la camionnette qui relie en ¼ d’heure le lieu de l’enlèvement du carrefour de l’endroit du crime.
Problème : christian Ranucci aurait mis ½ heure pour couvrir la distance. Etonnant pour quelqu’un qui roulait trop vite !
Mais on a pris soin à l’interrogatoire de lui faire dire dans ses aveux qu'il s’arrête à mi-chemin pour griller une cigarette.
« Est-ce bien là que vous vous êtes arrêté ? » demande la juge à christian Ranucci.
Celui-ci a la hardiesse de lui répondre « je ne sais pas ».
Face à cette réponse insatisfaisante, la juge ordonne au greffier présent dans la camionnette :
« Notez : l’inculpé ne sait pas. C’est en tout cas ce qu’il affirme. »
La façon de recueillir les propos est franchement désinvolte. Et pourtant Melle la juge n'est pas dans son bureau. Dans cette camionnette, hormis le chauffeur et l'inculpé, il n'y a pas moins de 6 personnes pour apprécier sa manière de faire.
Plus directive qu’objective la meneuse de reconstitution !
La suite de la journée ne le dément pas. Que ce soit à la champignonnière où sur le lieu de découverte du cadavre, on croirait un réalisateur tempêtant contre son acteur.
"C'est trop tard pour revenir sur vos aveux Ranucci !" sera la sentence qui la résume ce jour-là.
Le bureau du juge d'instruction :
que vous soyez victime d'un viol ou accusé d'un meurtre, y passer n'est jamais une partie de plaisir.
En 1974, quand le juge s'appelle mademoiselle ilda di Marino, c'est visiblement une épreuve.
Le débat télévisé du 19 septembre 2017 sur "le viol des calanques" relate une transformation des propos des deux plaignantes quand leurs déclarations ont été enregistrées au cours de l'instruction.
Cette observation n'a soulevé aucune objection de la part des participants présents à l'émission, y compris d'un juge d'instruction invité sur le plateau.
Se pourrait-il que l'instruction de l'affaire Ranucci ait pu souffrir d'une même carence d'objectivité ?
"Il y a ce qui est juste et il y a la justice" était la formule de Melle Di Marino.
Il y a aussi ce qui est dit, et ce qu'on en écrit. L'épisode de "la camionnette" parait révélateur. Il illustre le manque de partialité dans la retranscription des propos. On peut donc mettre en doute l'instruction de l'affaire Ranucci, et la voir comme exclusivement à charge.
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