le conformisme
dans les années 1970, l’anti-conformisme est à la mode
mais christian Ranucci n’est pas de ce genre
et c’est bien ce qui cause sa perte
le test
Connaissez-vous l’expérience de Asch ?
Un protocole bien connu sur le conformisme social.
L'expérience vise à mesurer la soumission d’un individu. Non pas à un chef, mais par rapport à un groupe. L'adhésion à l'esprit jugé collectif peut confiner à l'absurdité. L'attitude n'est mue que par un seul souci : se sentir "comme les autres".
C’est à ce genre de phénomène que christian Ranucci est confronté sans le savoir. La situation intervient durant son interrogatoire à l'hôtel de Police de Marseille, le 5 juin 1975. La similitude avec le protocole expérimental est plus que troublante.
le protocole
L'expérience de solomon Asch a été menée à partir de 1951.
Elle se réalisait avec des jeunes gens entre 17 et 25 ans.
C’est dans la tranche d’âge de christian Ranucci qui a 20 ans.
Le test est fort connu. Une assemblée composée de 8 personnes fait face à des traits affichés devant eux. Il doivent désigner parmi les segments A,B et C lequel est à la même longueur que celui représenté à côté.
Il est évident qu'il s'agit du C.
Et pourtant 7 personnes désignent le segment A. Il s'agit en fait de comparses chargés de mentir. Que répond la 8e personne ?
Elle ignore être la seule à ne pas être dans "la combine".
Dans une proportion conséquente : 32%, le sujet « naïf » opte pour le A aussi.
Un exemple de faiblesse ordinaire. Celle qui vous fait souscrire à l’avis général, même clairement absurde, plutôt que d’oser se sentir en minorité.
C’est à ce genre de situation à laquelle christian Ranucci est soumis durant son interrogatoire.
comparaison
Les policiers demandent à christian Ranucci de raconter son lundi de Pentecôte.
C'est comme comparer ses souvenirs à 2 types de situation que l'on nommera "segment".
- Le 1er segment que l’on appellera "segment court" est composé de 2 assemblages qu'il ne peut pas nier :
accident + fuite
- Le 2nd segment, le "segment long", s'articule en 4 parties dont on veut lui faire avouer l'ensemble :
rapt + accident + fuite + meurtre
Comment, et contre son propre intérêt, va-t-il souscrire à la 2nde modélisation ?
Tout se passe comme dans l’expérience de Asch. Car on fait appel à des gens utilisés comme comparses.
témoignages
« Des témoins t’ont reconnu ! »
Christian Ranucci subit 3 tapissages où se succèdent cachés de sa vue :
1 - le frère de la victime
2 - Eugène Spinelli, le garagiste qui a assisté au rapt
3 - le couple de toulonnais qui l'a poursuivi en voiture après l’accident
Aucune de ces 4 personnes ne reconnait christian Ranucci aligné au milieu des policiers. Malgré tout, à christian Rannuci, on vient affirmer le contraire. Les témoins, qui ne l'ont pourtant pas identifié, deviennent à leur insu des comparses.
4 est le nombre de personnes mesuré par Asch à partir duquel il enregistre les résultats les plus significatifs dans le phénomène de suivisme.
Mais nous rétorqueront les détracteurs : « pour que l’expérience fonctionne, il faut que les comparses soient présents ! »
Voilà qui est tout à fait juste.
Alors, laissons les rentrer…
fêlure
« C'est vous Ranucci, c’est vous ! »
On se souvient de cette phrase lancée face à l’inculpé. Le mari de l'accusatrice à ses côté ne peut qu’acquiescer. Le couple de toulonnais constitue l’échantillon avec lequel on veut faire croire qu'il a été reconnu. Et pour cela on les sort de leur position cachée pour faire face au suspect.
Ils sont les témoins qui servent à accréditer la dernière partie du "segment long" :
( accident + fuite ) + meurtre
Voilà qui est fait. Mais il manque une partie au "segment long". Car il ne peut pas y avoir de meurtre sans le rapt.
C’est tout ce segment qui doit être avalisé pour rendre l'histoire crédible :
rapt + accident + fuite + meurtre
Dans ce but, il faut que Christian Ranucci "se conforme au groupe". Qu'il valide ce scénario en signant les aveux.
Pour cela, il faut qu’il craque. Et il le fait.
pourcentage
Il y a malgré les apparences quelque chose d'encourageant dans l’expérience de Asch.
On compte tout de même 2/3 de gens qui ne se font pas avoir.
Mais ils n'en sont pas heureux pour autant. Un rapide débriefing montre que la situation leur a causé un profond malaise. Ils ont douté d'eux-même. Et pour certains, c'était même un stress.
Concernant christian Ranucci, on peut dire que le « préparation » est déjà faite. La garde à vue dure 18 heures. Il est fin prêt pour aval(is)er n'importe quoi.
Et si sa conscience avait soudain un sursaut de clairvoyance ? Faudrait-il encore qu'il ait des argument pour s'opposer ...
Dans l’expérience de Asch, on utilise des traits qui ne sont pas tous à la même longueur. A l'aide d'une simple règle graduée on donne facilement raison à une seule personne contre tous les « menteurs ».
Mais dans le cas de souvenirs, notre technologie, ni en 1974 ni aujourd'hui, ne permet pas de revoir les images emmagasinées par le cerveau humain. Il n'y a que la parole d'un homme contre celle de tous les autres.
classement
Une question reste en suspens.
Christian Ranucci a craqué face à une manipulation. Pour cela, il était rentré dans une phase de conditionnement.
De quel type de conditionnement relève christian Ranucci ?
Comportementalistes et sociologues recensent au moins 5 types de conformisme :
- par complaisance
- par identification
- par intériorisation
- par innovation
- par ritualisme
Le conformisme de christian Ranucci ne relève que d’une seule catégorie : le conformisme « pour enfin avoir la paix ». Car 18 heures de garde à vue en 1974 à "l'évêché" de Marseille, c’est intenable. Pour ne plus endurer cela, christian Ranucci est prêt à dire "oui" à n'importe quoi.
extension
L’interrogatoire fut-il la seule forme d’expérience de Asch observée durant l’affaire Ranucci ?
Le principe est de penser comme les autres pour se sentir accepté. Christian Ranucci accepte donc de se reconnaître coupable pour ne plus camper seul sur sa position. Est-il un cas unique dans cette affaire ?
On sait au moins qu’un mimétisme généralisé jalonne la procédure. Paul Lefèvre évoque son propre exemple. Le chroniqueur judiciaire confie ses doutes à ses confrères à la veille du procès. On lui rétorque qu’il perd son temps. Vu l’accumulation de « preuves » contre l’accusé, sa culpabilité est indubitable.
Au soir du 9 mars 1976, le journaliste ose malgré tout faire cavalier seul. Il trouve un positionnement honorable en concluant son billet radiophonique par :
« On a vu se succéder les témoins, et s’accumuler les éléments à charge. Mais aucun n’arrive à faire emporter la conviction. »
Seul contre (presque) tous, Paul Lefèvre n’a pas cédé au mimétisme de rigueur. Mais combien d’autres n’ont pas osé exprimer leur doute.
Y compris parmi les enquêteurs, peut-être ?
faire bloc
Dans la police, on ne parle pas de mimétisme.
On dit « esprit de corps ».
Mais inutile de l’invoquer le 28 juillet 1976 à l'hôtel de police de Marseille. On est 2 ans après le début de l'affaire. On vient de leur annoncer l’exécution de christian Ranucci. Les policiers ont tous le même état d’esprit. Et il est loin d’être triomphalistes. Ils l’avoueront bien après : « on était tous effondrés ».
Il ne s'agit nullement d'une réaction de mimétisme. Il y a seulement que personne ne s’y attendait.
Mais ce malaise général, correspond-il pour certains à la remontée d’un doute enfoui ?
Voir le remord de ne pas avoir exploré certaines pistes de l’affaire.
On n’a pas vu, ou pas voulu voir. Non par mimétisme bien sûr, mais par esprit de corps forcément…
conclusion
La 1ère entrevue de maître Le Forsonney au "geôles" du palais de justice est révélatrice.
Il évoque en une seule phrase le conditionnement de son client :
« C’est forcément moi, puisque des témoins m’ont vu ».
Christian Ranucci tient ces propos que l’avocat juge « biaisés ». Il exprime en fait un conformisme où la parole des autres compte plus que ses propres souvenirs.
Dommage qu’il n’ait pas réitéré le même argument devant les psychiatres. On aurait pu espérer que l’un d’entre eux soit au moins aussi intrigué que l’avocat.
Et surtout que ces spécialistes du fonctionnement mental se rappellent aux études sur le conformisme de salamon Asch. Ils avaient alors de quoi démontrer, ou au moins affirmer que christian Ranucci avait subit un conditionnement. De là, le aveux pouvaient être mis en doute.
Ajouter un commentaire