le crime
Comment le meurtrier s'y est-il pris ?
aucun témoin n’a vu,
ni prétendu avoir vu,
la mise à mort de la
petite victime
pour autant, la façon dont le drame s’est produit se précise
certains l’avaient probablement deviné, mais ont préféré sagement se taire
l’aveu
« L’enfant se débattait. (…) J’ai pris un couteau automatique qui se trouvait dans la poche de mon pantalon, (…) et j’ai frappé la petite à plusieurs reprises. »
Ce passage est extrait du procès verbal des aveux de christian Ranucci. On sait aujourd’hui que l'enchaînement des actes n'a pas pu se passer de cette manière.
Cette déposition consignée par les policiers ne fait pas la moindre allusion à un détail capital de l’enquête. Un élément essentiel qui mettra quelques 30 ans pour ressortir au grand jour.
En 2005, le greffe du tribunal d’Aix-en-Provence ouvre devant les caméras le carton estampillé : 3/76 RANUCCI Chrisitan.
Il s’agit des scellés du procès. On y trouve 2 pierres. Elles ont été récupérées sur les lieux du crime. Tachées de sang, elles répondent à une classification bien connue : « arme par destination ».
Ce n’est pas un scoop. En tout cas pas pour tout le monde. Déjà en 1974, on savait que la petite fille n’avait pas reçu que des coups de couteau. Des enfoncements sont observés sur la boite crânienne par le docteur Vuillet, médecin légiste.
Ces pierres sont-elles responsables des lésions à la tête ?
comparaison
On peut s’interroger sur l’origine d’un enfoncement crânien.
Il se peut que la petite fille ait pu se faire des marques en tombant sur le sol.
Le chroniqueur Jacques Pradel, dans une des émissions de "l’heure du crime", présente un cas tout à fait révélateur.
Une femme médecin tue son mari au cours d’une dispute. Elle obtient d’un de ses confrères un certificat de décès. Le document atteste d’une chute accidentelle. Mais le grain de sable, c’est l’employé de la morgue : un ancien policier recyclé. Pour lui, 1 enfoncement de boîte crânienne pour 1 chute, c’est toujours possible. Ça ne tient plus quand on en repère 3 sur le défunt. L’accident est requalifié en crime.
Dans le cas de la petite fille examinée par le docteur Vuillet, ce ne sont pas moins de 4 enfoncements qui sont observés. Elle n’a pas pu se faire ça en tombant. Plus de doute possible, les pierres ont bien servi au crime.
Mais 1 an avant l’ouverture du carton des scellés d’Aix-en-Provence, quelqu’un avait tout compris.
découverte
Il aura fallu 30 ans pour qu’une faille essentielle des aveux soit révélée.
30 ans et la perspicacité d’un citoyen ordinaire, ou presque.
Homonyme d’un sculpteur de la Renaissance, jean Goujon exerce lui ses talents artistiques dans la chanson. Comme bien d’autres, il se passionne pour l’affaire Ranucci.
C’est son regard extérieur, loin des tumultes qui secouèrent le déroulement de l’affaire, qui lui permet en 2004 de voir la dichotomie entre les aveux et le rapport d’autopsie. Les pierres ont été oubliées dans le déclaration que l'on a fait signer à christian Ranucci.
Cette découverte est à l’image de celle de michel Drach. En 1977, au cours du tournage de « le pull-over rouge », le réalisateur se rend compte qu’il manque la date et l’heure du décès dans le rapport d’autopsie.
Comme pour les pierres, il s’agit d’un point essentiel dans les traces écrites de l’instruction. Et pourtant, personne avant ne l’avait remarqué.
Pas de date et d’heure de décès : le mystère sur le déroulement du crime devient hélas encore plus opaque.
Mais on sait maintenant que des pierres ont servi au crime, et on les a retrouvées. Voilà qui est intéressant. On comprend maintenant les étapes de déroulement du crime. C’est essentiellement une question de logique …
dans quel ordre ?
Les pierres ont-elles été employées avant ou après le couteau ?
On pourrait en 1er lieu imaginer que le tueur, après s’être servi de son couteau, soit encore sous l’emprise de la démence.
Il achève d’évacuer cette furie en jetant des pierres sur le corps inerte, avant de le recouvrir de branchages.
Cet enchaînement de comportements reste possible. Mais ce n’est certainement pas le plus logique.
Les pierres conservées sous scellé sont imprégnées de sang. En rebondissant sur la boite crânienne, elles n’auraient pas eu le temps de prendre des traces rougeâtres, virant au brun avec le temps.
Voyons alors l’autre hypothèse : les pierres n’ont pas été utilisées pour un « défoulement » final, mais ont été la 1ère arme.
scénario logique
Si l’on considère que les pierres ont été employées avant le couteau, alors une histoire bien plus crédible voit le jour.
La petite fille crie et se débat. Le kidnappeur essaie de la faire taire.
On ignore s’il essaie de lui serrer le cou ou de lui obturer la bouche avec la main. Mais ne parvenant à contenir la fillette, il se saisit de pierres à portée de main et la frappe jusqu’à ne plus l’entendre.
C’est alors que le tueur comprend qu’il a commis l’irréparable. Il ne voit plus qu’une solution : achever sa pauvre victime. Il sort alors un couteau et larde son corps à 15 reprises.
3e option
A ce stade, on considère que le tueur a utilisé les pierres avant le couteau.
Mais il existe encore une autre « alternative ». Le tueur aurait cogné la tête de sa victime contre les pierres disposées sur le sol.
Cette 3e hypothèse reste parfaitement envisageable. Mais examinée sous un angle purement « technique », cela n'influe guère sur les conditions supposées de déroulement de l’acte. Que la tête ait été projetée contre les pierres, où que celles-ci aient été utilisées comme objet contondant, la finalité reste malheureusement la même.
hypothèse 1 |
hypothèse 2 |
hypothèse 3 |
||||
1 | le tueur utilise un couteau | le tueur saisit des pierres | le tueur frappe la tête de la victime sur le sol | |||
2 | il s’acharne avec des pierres | il achève la victime au couteau | il larde le corps de coups de couteau |
Quelle conclusion retient en 1974 l’enquête d’instruction ?
Elle n'examine aucune de ces 3 hypothèses possibles.
Seul est conservé le scénario des aveux : le couteau et seulement le couteau. Un comble quand on sait que la juge chargée d’instruction a sous la main les scellés classés n°3 et n°5.
Ces pierres sont purement et simplement éludées !
Et ce n'est pas la reconstitution qui y changera quoi que soit. Malgré la présence du médecin légiste sur les lieux !
reconstitution
La reconstitution est un modèle de contre-exemple judiciaire. L’évènement est immortalisée par le film de michel Drach.
Un plan fixe montre Serge Avédikian dans le rôle de christian Ranucci. On a pris un acteur d'ascendance arménienne, tout comme christian Ranucci. Il tient d’une main un mannequin de chiffon, sensé représenter la victime, de l’autre un couteau en bois.
La scène illustre l’incapacité de l’accusé le 24 juin 1974 à mimer le geste fatale qui lui est demandé. Cette réaction ne joue nullement en la faveur de christian Ranucci. Tout au contraire, on ne manque pas de noter son manque de « coopération ».
Mais il y a une autre collaboration qui elle serait bien plus souhaitable ce jour-là.
La reconstitution suit la trame des aveux. Personne ne peut songer à l’utilisation des pierres au cours de l’acte.
Vraiment personne ?
Quelqu’un est là. Debout en face, il assiste à la scène. Et pourtant il se tait. Bien qu’il sache pertinemment que des pierres ont été employées. Cet homme n’est autre que le docteur Vuillet.
mise en scène
Un couteau en bois et un mannequin de chiffon : n’importe qui pourrait réaliser le geste de celui qui poignarde.
Cela ne nous accuserait en rien d’avoir perpétré cet acte. C’est le genre de mise en scène judiciaire réalisée pour la forme, mais qui n’apporte rien sur le fond.
Que fait donc le docteur Vuillet ?
C’est le médecin légiste qui a autopsié la victime. Il a fait le déplacement dans « la garrigue de l’horreur ».
Qu’attend-il pour dire haut et fort qu’il n’y a pas que le couteau. Le couteau, logiquement, c’est seulement après !
Non seulement le docteur Vuillet ne dit rien, mais en plus, il ne fait rien. Pourtant, par un procédé simple, il peut faire visualiser très clairement au public autour de lui les blessures qu’il a lui-même relevé sur la victime. Quelques traits au marqueur sur le mannequin, et tout le monde pourrait voir les 15 points d’impact du couteau.
Concernant les zones de commotion provoquées à la tête par les pierres, 4 cercles au crayon permettraient de les repérer.
Si le docteur Vuillet avait réalisé ce travail simple, alors il n’aurait pas fallu 30 ans pour se rendre compte de l’oubli des pierres dans les aveux, … mais seulement 3 semaines !
Aujourd’hui encore, des pierres dorment au fond d’un carton à Aix-en-Provence.
Les pierres ne parlent pas. Et pourtant elles nous apprennent comment le crime a été perpétré.
C’est d’une logique la plus probable : le tueur s’en est servi avant de sortir son couteau.
Ces pierres nous disent aussi hélas, que l’on a fait signer des aveux incohérents à christian Ranucci.
La reconstitution n’y a rien changé. Le déplacement n’a été qu’une mise en scène tronquée. Aussi tronquée et déformée qu’a pu être la vérité.
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