le 2nd juge d'instruction

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 01Pas moins de 3 films ont vu incarné à l'écran un courageux juge marseillais.

 

Dernier en date, un acteur oscarisé à Hollywood interprète celui qui est mort sous les balles de truands en 1981.

 

Mais derrière tout héros, il y a une part d’ombre.

Celle-ci est à trouver dans l’affaire Ranucci.

 

 

 

Le 28 juillet 1976, un homme pourtant jeune a besoin d'un mur pour se tenir debout.

 Il est 3 heures 30 du matin à la prison des Baumettes.

 Le visage décomposé, ce juge d'instruction tout juste nommé à sa première affectation attend d'assister à un exécution capitale. Muet et livide, il n'en mène pas large. Et pourtant il sera plus tard dans un autre contexte érigé en héros.

 Mais pour comprendre comment on en arrivé là, remontons 1 an avant, à l'année 1975.

 

 

  Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 021 - l’exécution

 Dans la procédure d’exécution, au temps la guillotine, on s’arrange pour que le bureau n’ait pas à croiser le regard du condamné.

Les mains et bras ficelés très haut dans le dos l’obligent à courber la tête. Porté et fixé sur la bascule par les 2 aides, le bourreau n’a plus qu’à appuyer sur le levier.

 

Il semble que la même précaution ait lieu dans l’exécution de l’instruction du procès Ranucci. On épargne à la juge l’ultime entrevue avec celui qu’elle estime passible de la peine de mort.

Dans notre cas, on ne s'accorde guère de prendre son temps avec l'homme accusé d'être un assassin d’enfant : ralentir c’est faiblir !

 

Après une instruction à charge (de cavalerie), le dossier est remis à un jeune juge de 32 ans. Il vient tout juste d’être nommé à Marseille, et c’est son 1er poste. En ce début d’année 1975, il se doute que ce dossier est un drôle de cadeau d’accueil.

Le bizutage hors norme consiste à demander  au nouveau d’assurer le dernier entretien avec celui que l’on destine à la guillotine.

Les mutins de la grande guerre étaient fusillés par les nouvelles recrues à peine arrivées sur le front. C’est seul que le fraichement arrivé affronte le cruel déniaisement juridique qui lui est imposé.

 

Peut-être veut-on éviter que ce soit une femme  qui ait à croiser dans un bureau en face à face le regard d’un jeune homme promis à la mort. Et même éviter sa présence si le traitement final de l'affaire prend une tournure ultime. Comme quoi la galanterie est toujours de mise, même au pied de la guillotine.

 

Mais dans cette mécanique bien huilée qu’est le parcours judiciaire du bientôt condamné, le débutant à peine sorti de l’école de la magistrature pourrait bien être le grain de sable imprévu …

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 032 - le dossier

 

« C’est un dossier de m… »

Procès verbal de tapissage inexistants, témoignages escamotés, reconstitution partielle et partiale : ce que découvre le jeune juge dans le dossier est proprement édifiant.

Avec un tel travail il n’aurait jamais obtenu son diplôme de l’école de la magistrature.

« un dossier de m… »

De la part d’un magistrat, on pourrait attendre un langage plus châtié. L’expression n’en est pas moins justifiée. C’est en ces termes que « EC », procureur adjoint, relate la confidence que lui glisse son nouveau collègue.

 

On comprend que la recrue n’est pas uniquement le juge courageux et intransigeant tel que la littérature et le cinéma le dépeindront. C’est avant tout un personnage clairvoyant qui constate que l’enquête comme la reconstitution ont des lacunes intolérables.

On imagine alors cet infatigable travailleur, véritable bourreau  de travail, reprendre un par un les éléments de l'enquête. Surtout qu’il est supposé n’avoir peur de rien ni de personne. Surnommé plus tard par la presse « le justicier », il ne s’embarrasse pas de scrupules corporatistes s’il estime que le travail précédemment réalisé est insuffisant. Quand aux policiers, ce ne seront pas les derniers qu’il se mettra à dos. Il n’hésitera pas plus tard à dénoncer le dilettantisme de ceux de Marseille quand il s’occupera du grand banditisme.

 

Mais attention :

le jeune juge n’est peut-être pas encore l’homme de cette trempe …

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 5

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 05 3 – l’entrevue

  Le 4 février 1975,  christian Ranucci est convoqué chez son nouveau juge d'instruction.

Se doute-il que la roue va enfin pouvoir tourner à son avantage ?

7 mois qu’il vit un véritable cauchemar du fond de sa cellule. Mais  quand sa mère vient le voir au parloir, ils rêvent ensemble de l’évènement qui permettra de démontrer son innocence. Et celui-ci arrive peut-être bien avec la nomination d’un nouveau juge, qui plus est, semble clairvoyant.

 

Les interrogatoires d’instruction sont jusqu’à présent une véritable épreuve pour christian Ranucci. Arrivé menotté, il subit à chaque fois les foudres d’une magistrate acharnée, qui le renvoie dans les cordes à chacun de ses arguments. Même les policiers qui l’accompagnent en sont stupéfaits.

Pas sûr que ces derniers aient averti christian Ranucci du changement, ni même ses avocats. En entrant cette fois-ci, l'inculpé découvre un homme d’à peine 10 ans de plus que lui. L’avocat n'est pas présent. Ce dernier âgé de 26 ans serait là,  on serait presque « entre jeunes ».

 

Mais on  n’est pas là pour parler du dernier vinyle de Johnny, ni discuter qui est le meilleur footballer entre Rocheteau et Platini.

D’abord les mauvaises nouvelles. Le nouvel interlocuteur de christian Ranucci a le regret de lui annoncer que la demande de contre-expertise mentale soumise par ses avocats a fait l’objet d’une ordonnance de rejet.

 

Et … et … et c’est tout ! Rien d’autre à dire …

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 064 – déontologie

 

La rencontre se révèle être une simple formalité administrative.

Sa brièveté rivalise avec la vitesse à laquelle la précédente juge à monté le dossier.

Pourtant on suppute que cette continuité dans l'empressement explique que certaines pièces fassent défaut.

On pourrait légitimement attendre du nouveau juge un dossier irréprochable. Car c’est la vie d’un homme de 20 ans qui est en jeu. Difficile certes de demander de nouvelles reconstitutions. Et encore plus de rechercher un procès verbal de tapissage qui n’existe pas.

Hélas, d'après la confidence faite à EC, le magistrat adjoint, la réflexion de notre juge s’articule en 2 phrases :

« C’est un dossier de m…. Mais il est coupable »

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 075 - paradoxe

 

dossier bancal - part au pénal !

L'oxymore qui conduit à une pareille logique est effroyable. On se demande comment l'homme de loi qui l'aurait prononcé à aujourd'hui droit à une sorte de béatification laïque via le grand écran.

 

Un ingénieur clamant : "les calculs sont faux, mais le barrage tiendra quand même", celui-là a de quoi nous faire peur.  Un juge qui estime son suspect passible de la mort malgré un dossier mal ficelé n'est guère plus rassurant. C'est son gaillard qui risque de se retrouvé ficelé sur la bascule du bourreau.

 

Dans le cadre d'une instruction le magistrat doit s'assurer que 2 conditions soient remplies :

- les faits retenus à l'encontre du prévenu sont réels et justifiés

- la nature de ces faits est satisfaisante et suffisamment informée

Mais notre juge préfère s'en tenir à l'avis des experts. D'ailleurs arrive sur son bureau les examens chromosomiques. Il reconvoque christian Ranucci le 20 février pour lui annoncer qu'il est "normal". Et il conclue l'entretien comme celui 2 semaines avant : rien d'autre à dire.

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 086 – la relance

 

"j'ai une déclaration importante à vous faire"

Ces mots écrits à la main viennent de la prison des Baumettes.

Le juge reçoit ce courrier la semaine qui suit sa dernière entrevue avec christian Ranucci.

Que faire : accepter ?

Il pourrait tout aussi bien rencontrer eugène Spinelli, le garagiste qui affirme que la voiture du kidnappeur était une Simca 1100, et pas une Peugeot 304. Ou Mme jeanine Mathéï qui a vu un homme roder autour d'enfants dans la cité marseillaise. Ou encore paul Martel, le concierge qui a accosté cet individu.

Mais on ne va pas refaire toute l'instruction ! C'est une question de respect pour ses pairs qui lui ont refilé l'affaire.

Et si le Ranucci a "des déclarations importantes à faire", qu'il les écrive ! Visiblement il n'est pas analphabète.

Le magistrat instructeur s'est déjà fait son intime conviction. Ce sentiment en son for intérieur lui suffit pour prendre sa décision. Il est à la fois juge et juré. On croyait ce rôle réservé à des citoyens tiré au sort pour le procès. Mais le magistrat a décidé de brûler les étapes pour ce dossier qui lui brûle les doigts.

Être à la fois juge et juré, et usant d’une justice expéditive : c’est peut-être cela la nature du « justicier », façon western.

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 227 - transfert

 

Un juge, un vrai, ça convoque.

Il n'est pas là pour répondre favorablement à une demande d'entretien. En tout cas, pas avec celui qui sera jugé, et le plus tôt sera le mieux.

Le dossier d'instruction bouclé/bâclé est transmis au procureur par ordonnance du 12 mars 1975.

Au final, le dossier traîne moins de 2 mois sur le bureau. 2 mois de trop pourrait-on croire, car il avalise tout ce qui a été instruit précédemment.

Notre juge vient de passer à côté de la chance de sa vie de devenir un héros, un vrai.

 

 

 

 Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 108 – jamais deux sans ...

 

Dans ce parcours judiciaire qui tient du saut d'obstacle, la responsabilité de chacun est diluée.

Chaque magistrat se lave les mains.

On se demande comment le novice arrive à se sentir propre.

Que lui dit sa bonne conscience ? Elle lui susurre qu’un dossier bancal, c’est toujours un cadeau fait aux avocats pour s’engouffrer dans les lacunes, et donc instiller le doute.

L’homme de 32 ans est un idéaliste qui pense certainement que la justice ne peut pas condamner à mort quelqu’un sur un dossier déficient. Alors autant le laisser tel quel !

 

En refermant une dernière fois le dossier avant expédition, le jeune juge peut espérer apaiser ses dilemmes intérieurs. Le cas de conscience sera pour ceux auxquels il refile "la patate chaude" comme on dit aujourd'hui. Pour sa part, son travail est maintenant terminé. Ses deux rencontres avec christian Ranucci sont les premières et dernières. Mais a-t-il oublié que l'on dit bien "jamais deux sans trois" ?

 

Le proverbe se confirme 1an et demi plus tard. Au soir du 27 juillet 1976, un missive envoyée par coursier le replonge brutalement dans l'affaire. C'est pour l'ultime et la plus terrible de ses missions. Notre juge a un dernier rendez-vous avec christian Ranucci, un matin très tôt avant le lever du soleil.

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 11   9 – le "flyer"

 

Quelle impression avait pu laisser christian Ranucci à notre juge ?

Il n' eut que deux uniques entrevues et fort brèves.

On pourrait tout autant s'interroger sur les sentiments de ce magistrat à l’annonce du verdict. Ou au moment du rejet en cassation. Et encore au canular radiophonique de la grâce présidentielle.

Mais quoi qu'ait ressenti le magistrat à chacune de ces étapes, cela n'est rien comparé à la nuit du 27 au 28 juillet 1976. Un motard vient lui apporter un pli.  La missive lui annonce qu'il est "convié"  dans les heures qui suivent à la prison des Baumettes.  Il doit voir décapiter le jeune homme qu'il avait fait venir dans son bureau.

 

Le "flyer" pour la cérémonie macabre a de quoi étonner le juge. Pourquoi ce courrier lui est-il destiné ? Ce n'est pas prévu dans ses missions. Cette charge incombe normalement au président des assises et à l'avocat général. Ceux-là même auxquels il avait transmis le dossier avant le procès. Mais l'un comme l'autre sont déclarés absents. Et le voilà "commis d'office". Une appellation jamais flatteuse dans le monde de la justice. Une tache carrément infamante pour le cas présent.

Le novice avait bien accepté le dossier alors qu'il était à peine débarqué à Marseille. Donc il n'y a pas de raison qu'on ne refasse pas appel à ses services pour une nouvelle besogne embarrassante.

 

Autrefois, du temps des exécutions publiques, les riverains vendaient au prix fort les meilleures places pour assister au supplice. Pour le coup, notre juge est payé pour être aux premières loges. Va-t-il pour autant profiter de ce "privilège" ?

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 1210 - adieu

 

Les avocats ont l'obligation, tout au moins morale, de venir soutenir comme ils peuvent le condamné.

Ils trouvent un jeune homme courageux qui marchera de lui-même vers la mort.

 

Mais en arrivant à la prison, ce qu'ils découvrent en premier, c'est notre jeune juge totalement décomposé. Certes, l'ambiance est terrifiante, et les regards se côtoient en silence. Les avocats remarquent entre tous le magistrat au teint livide appuyé contre un mur.

C'est une posture qui n'est pas digne, ni même décente en ce genre de circonstance. Mais on ne doute pas un seul instant que l'homme est totalement anéanti moralement s'il a besoin de sentir la paroi contre son dos pour pouvoir se maintenir debout.

 

Face à christian Ranucci dans ses dernières minutes de vies, il y a 2 catégories de témoins :

- ceux qui se contentent de le voir fumer sa dernière cigarette en écoutant la lecture de la lettre d'adieu de sa maman

- un seul l'accompagne au dehors pour assister à la décapitation

 

Auparavant, dans le suivi d'instruction de l'affaire, notre juge en fit le minimum. Normal qu'il se contente d'appartenir au 1er groupe, en s'exemptant du "spectacle" dans la cour. Seul un avocat se risque au dehors.

Mais qu'il se dispense de voir la chute du couperet sur le cou du condamné ne l’exempte pas d'un souvenir terrifiant. L'ultime rencontre avec le suspect devenu condamné, il ne l'avait pas prévue. L'évènement laisse forcément des sensations indélébiles.

 

 


Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 13
11 -  culpabilité

 
Verdict, rejet en cassation, canular de la grâce présidentielle : autant d'étape qui ont vu se rapprocher la guillotine vers le futur supplicié.

A chaque fois, on peut faire comme le condamné : se raccrocher à un nouvel espoir. Avec l’exécution, cette torture mentale cesse pour le supplicié. Mais pour ceux qui ont encore leur tête sur les épaules et en fonctionnement, comment réagissent-ils quand l’issue fatale est au moins en partie de leur responsabilité ?

A défaut de pouvoir se satisfaire de la sentence, il n’y a qu’à espérer que l’affaire se fasse oublier au plus vite. Mais ce qui est singulier dans l’affaire Ranucci, c’est qu’on n’en a jamais autant parlé après.

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 1412 - esquives

 

Des lacunes béantes étaient laissées au dossier d’instruction.

Elles n’ont pas pesé bien lourd face à une opinion publique déchaînée.

Un magistrat se doit de préserver un devoir de réserve. Ce qui ne l’affranchit pas d’un possible sentiment de culpabilité.

Notre juge aurait pu réinstruire l’affaire, en soulignant cette part de doute sensée profiter à l’accusé. Il avait sous la main 3 témoins pour parler d'un kidnappeur à la Simca 1100. Pas un seul n'a été reçu dans son bureau.

 

Si le magistrat par la suite, fait souvent l’actualité journalistique, nulle interview ne semble recueillir ses confidences sur cette affaire. Pourtant sans nul doute la plus terrible de sa vie.

Mais pour peu que la culpabilité de n’avoir rien fait le hante, elle expliquerait le comportement qui au fil des ans consolide sa réputation de "risque-tout". Car dans son déroulement de carrière, le voilà qui prend des risques inconsidérés pour sa profession, allant jusqu’à assurer lui-même les filatures de truands marseillais.

Cette activité semble étonnante pour un juge. Car il faut aimer une prise de risque à la limite de l’esprit suicidaire. A-t-il voulu prouver, ou se prouver un courage qu’il n’avait pas eu à ses débuts ? Sa fin tragique prouve que le danger était bien réel.

 

L’attitude est à rapprocher d’un autre héros, as du ciel de la grande guerre, georges Guynemer. Il évoquait sa jouissance à se sentir dans le viseur de l’avion ennemi avant d’esquiver la rafale par un brusque looping. Cette "roulette russe" aérienne lui aura été fatale.

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 1513 - courage

 

Comment notre juge ne peut-il pas être travaillé par son indolence passée ?

Il n’avait en rien agit pour empêcher la mort d’un jeune de 20 ans. Surtout que la polémique qui s'installe dans la presse a de quoi transformer cette pensée en véritable torture. Pour peu qu’il soit revenu sur la certitude qu’il avait confiée à son collègue procureur adjoint : « il est coupable ».

 

De là, sans avoir nécessairement des pensées suicidaires, son esprit offensif peut l’amener à mettre sa vie en danger. Comme dans la "roulette russe" où l'enjeu est de savoir si la destiné estime que l’on a le droit de vivre. Sans compter qu’une vie hyperactive vous évite de ruminer de sombres pensées.

 

Esprit volontariste, il n’hésite pas à faire incarcérer les épouses des truands. Leur libération est bien sûr conditionnée aux révélations que peuvent offrir les maris.

Ce n’est pas lui qui inaugure cette méthode, mais le juge françois Renaud. Celui-là même qui est assassiné le 3 juillet 1975. Patrick Dewaere l’incarnera l’année suivante dans le film « le shérif » réalisé par yves Boisset.

François Renaud est le 1er juge assassiné en France. Le repreneur de sa méthode sait parfaitement qu’il joue avec le feu.

Cela colle avec l’image christique qu’on lui a forgée. Un homme profondément humain et viscéralement attaché à l’idéal de justice.

 

Voila de quoi conforter l’image du héros.

Mais la vérité peut-être bien plus pragmatique …

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 1614 - carriérisme

 

Les années qui suivent l’affaire Ranucci voient le débutant du palais de justice de Marseille  accéder à la notoriété.

La presse le surnomme  virilement « le justicier ».

Si notre héros n’avait rien modifié dans l’instruction de l’affaire Ranucci, c’est peut-être qu’il ne se voyait pas l’obscur magistrat peaufinant ses dossiers dans un bureau.

 En charge du grand banditisme, 1 an après la mort de christian Ranucci, il préfère le travail de terrain. C’est normalement une tâche que l’on délègue, mais la rédaction des dossiers doit l’ennuyer. Sans compter que le travail administratif n’est guère valorisant auprès des médias. Les effets d’annonce et les confrontations lui offrent bien plus d’éclat.

 

Le dossier du moment est celui de la "french connection". S'attaquer au trafic de drogue peut lui garantir son nom cité dans les gazettes.

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 1715 - icône

 

Le film sorti en 2014 dépeint notre juge comme un être pétri d'humanité. Ce qu'il était certainement.

Il poursuit avec acharnement les trafiquants de drogue. Le décès de jeunes gens d'une vingtaine d'année le remplit d'un chagrin vite remplacée par une fougue que rien n'arrête.

Plus que la nécessité de réprimer le crime, il ressent le besoin impérieux de protéger les victimes. Sauf que question victimes, lorsque l'on se drogue, c'est qu'on le veut bien. Au début tout au moins.

Dans   quelle mesure ces jeunes gens ne lui rappellent-ils pas le souvenir terrifiant de christian Ranucci ? Lui aussi n'avait que 20 ans.

Tous les toxicomanes que ce juge croise dans son bureau sont comme chrisitan Ranucci : des condamnés en sursis.

"Si j'en sauve un ou une de la drogue, peut-être que je me rachète de la mort de Ranucci."

C'est le calcul qu'il peut fomenter derrière les dossiers qui s'empilent sur son bureau.

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 1816 - parallèle

 

Notre juge souffre du syndrome de Badinter.

L'avocat Robert Badinter, au même moment entame une campagne auprès de l'opinion publique pour faire abolir la peine de mort. Il ne cache guère que c'est pour compenser le fait de ne pas avoir sauvé la tête de roger Bontems. En l'occurrence un de ses clients qu'il estimait coupable, mais seulement au degré de complicité.

 

Notre juge suit une démarche similaire. Il n'a rien fait pour faire échapper christian Ranucci à son funeste destin. Mais il souhaite maintenant éradiquer le trafic de drogue. 

Un "shoot" juste pour "essayer" ou faire "comme les copains" peut conduire à devenir toxicomane. Mais un délit de fuite ne fait pas de vous un criminel. Ceux, de plus en plus nombreux, qui clament cette évidence, prennent le contre-pied des propos de l'inspecteur ayant conduit l'affaire Ranucci.

Ce policier, notre juge ne l'a jamais blâmé pour sa célérité de raisonnement et d'action. Mais maintenant il n'hésite plus à sermonner la police pour son dilettantisme. Celle-ci se montre difficilement coopérative en retour. C’est de cette manière que l’on se retrouve tout seul à faire « le boulot ».

Comme ose dire le proverbe : « le mauvais ouvrier a toujours des mauvais outils ».

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 1917 - dissonance

 

Un autre film sur la vie du "justicier" mériterait d'être tourné pour interroger sur la facette oubliée du personnage.

Tout héros du grand écran a aujourd'hui droit à un "préquel", à savoir un film sur "ce qu'il était avant".  Et il y a bien matière à s'intéresser à la vie de notre juge quand il était encore un anonyme.

 

Revenons donc à 1975, année ou notre personnage reste encore modeste, inconnu et discret. De fait, il est logique qu’il renonce à retravailler le dossier du précurseur. Cela évite de blesser la susceptibilité de la profession. Les initiatives hardies, on se les autorise quand on a fait ses preuves.

De même, en son début de carrière, il ne s’aventure pas à mettre publiquement en cause le travail des policiers. Ceux-là d’ailleurs auraient bien de quoi lui plaire. Dans l'affaire maria Dolorès, la petite victime, l'équipe a été d’une redoutable efficacité pour trouver fissa des preuves et un coupable.

Imaginons un instant qu’il découvre une erreur judiciaire. Lui, le débutant à peine sorti de l’école, sur sa première vraie mission. Mais on va lui rire au nez !

Et pourquoi risquer sa réputation dans cette affaire ?

L’opinion publique est suffisamment remontée contre le suspect.

Au final, il ne s’estime être que le coureur de relais qui transmet le témoin d'un juge et un autre. Aussi calque-t-il son attitude sur celle qui la précédée : on ne perd son temps avec un assassin d’enfant car ralentir c’est mollir. Et pourtant, il est bien conscient d’être le pivot par qui tout peut s’inverser.

 

Refermer docilement un dossier augure plus d’un esprit servile que de la carrure d’un meneur d’hommes. Car la justice n’est compatible avec les héros solitaires qu’au cinéma.

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 2018 - le changement

 

10 mai 1981 : arrivée de françois Miterrand à la Présidence de la République.

Le plan de carrière du « justicier » pourrait bien se trouver compromis.

Si son nom est connu grâce à la presse, ce n’est plus forcement un avantage.

 

Du fond de sa cellule, christian Ranucci pouvait voir « la guillotine lui tendre ses maigres bras ». Maintenant dans son bureau, le « justicier » croit entendre le couinement de la porte du placard qui l’attend.

Car les choses se gâtent avec son nouveau ministre de tutelle qui n’est autre que Robert Badinter. Celui-ci vient d’abolir la peine de mort. Il a évoqué clairement dans ses discours le spectre de l’erreur judiciaire à travers le cas Ranucci.

 

Notre magistrat marseillais n’a été qu’un élément très accessoire. D’ailleurs peut-être trop accessoire, dans cette affaire. Le grand public ne connaît même pas son rôle passé. Mais son entourage a surement plus de mémoire, et n’est pas dupe qu’il aurait pu être capital pour retourner la situation.

Le « justicier » sait maintenant qu’il peut se retrouver en 1ère ligne si de discrètes rétorsions administratives sont envisagées. C’est un personnage trop connoté ancienne majorité. On ne s’étonnerait guère de sa mise au placard. Lui qui a l’habitude de voir son nom dans les gazettes, il ne supportera pas cet ostracisme. De quoi imaginer déjà le sourire goguenard de ses collègues mieux encartés.

 

De là, le besoin de faire de l’épate se fait sentir. Il faut montrer que son rôle est indispensable, en clamant haut et fort sa détermination face au crime organisé.

Sa mise au rencard deviendrait de fait incompréhensible, voir suspecte. Son effacement serait inacceptable pour le grand public.

Les excès qu’il met en œuvre pour conserver son aura lui seront fatals.

 

 

 

Le 2nd juge d instruction le heros de cinema 21conclusion

 

John fitzgerald Kennedy est devenu le héros de l’Amérique en tombant sous les balles de lee harvey Oswald.

Sinon, de l’avis de son entourage, il ne serait resté qu’un médiocre président des USA.

Le juge marseillais dit le « justicier » aurait-il été un héros sans sa fin tragique ?

 

Concernant l’affaire Ranucci, juge et accusé eurent des destins croisés.   

Christian Ranucci eut son accident de voiture au mauvais endroit au mauvais moment et pris la fuite.

Le jeune juge débarqua dans un dossier embêtant dont il eut vite fait de se débarrasser.

Dans les deux cas, la fuite des responsabilités n’était pas la meilleure tactique.

 

Les héros existent pour de vrai. Ces héros du quotidien qui loin des coups d’éclats s’efforcent de faire leur travail le plus consciencieusement possible. Des policiers scrupuleux de la déontologie qui ne se prennent pas pour des cow-boys. Des magistrats qui ne confondent pas les tribunaux avec des scènes de théâtre, et bien d'autres auxiliaires de justices dont on ne fera jamais un film.

Ils servent discrètement les intérêts des citoyens, sans en tirer la moindre gloire. Seulement la satisfaction du travail correctement réalisé.

 

Laissons pour finir la parole à l'acteur oscarisé à Hollywood qui l'a incarné :

" C'est un héros, incontestablement un héros. Mais comme tout héros, il a sa part d'ombre."

 

ça mériterait bien un autre film, n'est-ce pas ?

 

 

 

 

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