Créer un site internet

le légiste

coup de fil = coup de grâce


 
Le legiste 01Le sort de christian Rannuci s’est joué sur un appel téléphonique.

 

 Non pas le 28 juillet 1976, au matin de l’exécution. Mais 2 ans avant.

 

 

Il s'agit du 5 juin 1974,

au cours de l’interrogatoire.

 

Sans cette conversation entre un inspecteur de Police et un légiste, christian Ranucci aurait pu être sauvé.

 

 

 

Le legiste 02annonce

 

En 1999, Le docteur françois Vuillet revient sur l’affaire Ranucci.

Il y était missionné comme expert.
Il raconte que le 5 juin 1974, le voilà en pleine autopsie de la victime. Soudain, le téléphone sonne. A l’autre bout du fil : jules Porte, un inspecteur de Police.
L’enquêteur vient aux nouvelles.

Notre légiste va-t-il l’éconduire par un : « rappelez-moi quand j’aurai terminé !»

A ce stade, les policiers ne savent même pas comment la victime a été tuée. La brigade a découvert sur le lieu du crime une petite fille au visage tuméfié. Ils vont jusqu’à ignorer qu’elle a reçu des coups de couteau. Pour cette raison, les pierres trouvées sur place ont été récupérées et mise sous scellé. Elles auraient servi à frapper la victime à mort.


De son côté, le docteur Vuillet va découvrir une toute autre vérité.

 

 

 

Le legiste 03constatation

 

Sur la table d’autopsie, l’usage d’une arme blanche ne fait aucun doute.

Pas moins de 15 impacts de couteau sont visibles sur le corps.
Que va dire le docteur Vuillet au policier ? La prudence pourrait l’inviter à s’abriter derrière le secret médical. Sauf qu'il s’agit d’une personne défunte.

Et d’ailleurs,  le secret médical s’applique-t-il encore quand la personne est décédée ?

 

 

Le legiste 04la mission

 

Le docteur Vuillet est mandaté par le parquet sur l'affaire.

Concrètement, cela signifie qu'il doit remettre un rapport.

Ce rapport doit être mis à la disposition de ceux qui enquêtent ou instruisent. Il s'agit en l'occurrence des policiers et du juge d'instruction. Mais les avocats ont également droit à ce document.

L'inspecteur Porte doit-il attendre les conclusions du rapport du légiste ?

Même pas !

Il peut d'ailleurs aller plus loin : assister en direct à l'autopsie. Cette option est du domaine des prérogatives accordées aux enquêteurs.

Par conséquent, le coup de fil du 5 juin 1974 n'a rien d'indiscret. Et il n'est nullement contraire à la déontologie.
En revanche, l'information risque rapidement de passer du domaine policier à la
sphère journalistique.


Intéressons-nous à la manière dont ça se passait en 1974. C’est pour le moins édifiant …

 

 

 

Le legiste 05symbiose

 

Le docteur Vuillet n’est pas dupe.

Son expérience des affaires criminelles lui permet de connaître « comment cela fonctionne » au commissariat de Marseille.

Le médecin sait parfaitement ce que peut devenir une confidence à l’oreille d’un policier. Elle risque le lendemain même de se retrouver en titre des journaux.

 

Il faut savoir qu’en 1974, les journalistes forment une symbiose étonnante avec les policiers de Marseille.  Ils occupent en permanence les couloirs pour recueillir les bruits qui en découlent.

 Le legiste 06« On était chez nous ! »

résume  clairement  en  2006  roger Arduin

qui avait couvert l’affaire pour la radio

Europe 1 et le quotidien « le Provençal ».

Immédiatement, on risque de voir dans ce mélange des genres une particularité « régionale ».

L’esprit commun lâchera fataliste :

«  C’est bien typique du pays des cricri des cigales et des cancans autour du pastis ! »

Il n’y a qu’à Marseille que cela se passait comme cela ? Pas du tout.

Ailleurs, au même moment, et en un endroit renommé, c’est encore plus flagrant. Les journalistes ont droit à leur local, sur place !

 

 

 

Le legiste 07le bureau

 

Un journaliste nous raconte sur une radio nationale ses années 70 au 36 quai des orfèvres.

A cette époque là-bas, les reporters ne trainent pas dans les couloirs. Hors de question. Ils ont carrément droit à leur bureau.

Un brin nostalgique, le journaliste raconte avec émotion cette période.

« Au « 36 », on était 4 à occuper un local en bas des escaliers. Tous les 4 reporters pour un grand quotidien. On discutait le coup en laissant toujours la porte ouverte pour surveiller les allées et venues. Sitôt que ça s’agitait, que l'on voyait les policiers monter les marches 4 à 4, le signal était donné. On devait partir à la pêche aux informations. »

De là s’enchaînent entre policiers et journalistes un savant jeu du « dis-moi ce que tu sais et je t’en dirai plus ».

 

A Marseille, au même moment, les journalistes n’ont pas de bureau attitré. Mais du point de vue de la perméabilité du transfert d’information entre journaliste et policier, ils n’ont rien à envier à leurs collègues parisiens.

Le docteur Vuillet le sait fort bien. Il est conscient que glisser quelques renseignements à un policier, c'est presque offrir une interview.

Mais une étrange méprise voit le jour …

 

 

 

Les contraintes 5quiproquo

 

L’auteur de ses lignes a connu un médecin du travail qui s’était fait piéger par un syndicaliste particulièrement retors.
Pour connaître les problèmes médicaux de certains employés, le délégué du personnel lance des faux diagnostics :

« Si Mme X est arrêté depuis 3 semaines, c’est bien pour une infection urinaire ?
Mais pas du tout, n’allez pas raconter des choses pareilles ! »
réplique outré le médecin, « c’est à cause de … »

Heureusement, le médecin s’aperçoit vite que le filou l’amène par ce stratagème à trahir le secret médical.

 

Dans le cas de l’affaire Ranucci,  nulle roublardise de la part de l’inspecteur Porte. Il signale seulement que son équipe a ramassé des pierres sur le lieu du crime.
« Mais ce n’est pas une pierre, » lâche le docteur Vuillet au téléphone, « c’est à coup de couteau que la petite a été tuée ! ».

Trop tôt pour tirer des conclusions complètes. Mais trop tard : les aveux ne retiendront que l’arme blanche.


Le docteur Vuillet a tout de même l’honnêteté de signaler les 4 enfoncements crâniens dans son rapport final. Va-t-il rappeler le commissariat de Marseille pour ce complément d’information ?

Pas la peine, on se reverra le jour de la reconstitution …

 

 

 

Le legiste 09scandales

 

Nous sommes le 24 juin 1974. Soit 3 semaines après le début de l’affaire.
On demande à christian Ranucci de poignarder un mannequin de chiffons avec un couteau en bois. Face à lui, le docteur Vuillet est décontenancé. En raison de l’absence des pierres dans la reconstitution peut-être?

Certainement pas ! Il s’offusque seulement que l’avocat puisse conseiller à l’inculpé de ne pas parler.
Pourtant, cet avocat qui demande à son client de se taire ne fait que scrupuleusement son travail. En 1974, le droit à garder le silence n’est pas encore inscrit dans la législation française. En revanche, tout inculpé peut refuser de s’auto-incriminer. Cette prérogative découle de la présomption d’innocence instituée par l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme.

On se demande comment un médecin, qui prétend apprécier la rigueur dans le travail, puisse s’offusquer qu’un avocat fasse appliquer scrupuleusement le droit.


En revanche, le docteur Vuillet ne se formalise guère de l’attitude de mademoiselle Di Marino. La juge d’instruction fait pourtant elle aussi taire christian Ranucci.

Et de manière brutale en plus :
« Taisez-vous Ranucci ! C’est trop tard maintenant. »

Trop tard pour quoi : pour revenir sur ses aveux ?  Melle Di Marino est supposée connaitre l’article 1356 du code civil. Celui-ci stipule effectivement que les aveux ne peuvent pas être révoqués. Mais seulement sous prétexte d'une erreur de droit. Et pas pour une erreur de fait.

Or dans cette garrigue près de Marseille, on n’est pas là pour débatte du déroulement d’une procédure. On vient pour analyser des faits.

Et pour ce qui est des faits, le docteur Vuillet est aux premières loges pour dire que les aveux comme la reconstitution ne collent pas avec la réalité.

Alors, pourquoi ne le dit-il pas ?

 

 


Le legiste 10serment

 

Christian Ranucci est enjoint à se taire.

Le docteur Vuillet a toute latitude pour s’exprimer. Il en a même  l’obligation.
On aimerait dans ces moments-là lui faire répéter la phrase qu’il a prononcée en prêtant serment :

« Je jure, d'apporter mon concours à la Justice, d'accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience. »

 Le silence du docteur Vuillet est un silence coupable. Il ne flatte ni son honneur, ni sa conscience. Sa présence est supposée assurer une reconstitution correspondant à la réalité. A savoir la mise en œuvre des traumatismes qu’il a lui-même pu constater sur la victime.

Si la mise en scène est partielle, elle devient comme l’adage bien connu "partiale".
Aurait-il trop de haine ou de mépris contre l’inculpé pour lui accorder une reconstitution équitable ?

Les sentiments du médecin ont de quoi surprendre …

 

 

 

Le legiste 11compassion

 

On imagine qu’un légiste habitué à examiner des cadavres, parfois atrocement mutilés, doit avoir le cœur endurci.
Dans le cas contraire, il est au premier rang pour s’horrifier du crime. De là on peut comprendre qu'il puisse en fomenter une haine indicible contre l’auteur.


En 1999, 25 ans plus tard, le docteur Vuillet ne fera pas mystère de ses sentiments. Car il a rencontré christian Ranucci au cours d’entretiens psychologiques. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il avoue éprouver de la compassion à l’égard de l’accusé.

« J’étais en présence d’un jeune homme qui était plutôt embêté (sic), dans de mauvais draps ».

Force est de constater qu’il n’aura guère agi, même à minima, pour l’aider à sortir de ses « petits embêtements ».

Etait-il tant troublé le jour de la reconstitution au point d’en perdre la voix ?

Son silence s’expliquerait bien mieux pour des raisons purement professionnelles.

 

 


Le legiste 12porte-à-faux

 

Le jour de la reconstitution, le docteur Vuillet est face à un double dilemme.
Sa probité professionnelle devrait l’obliger à signaler qu’il y a un oubli dans les aveux. Mais les policiers sur place risquent de lui signifier qu’il y est peut-être pour quelque chose. A savoir le coup de fil qui ne signale que le couteau.

L’inspecteur Porte n’a pas à se reprocher l'oubli des pierres. Il a prêté serment, certes, mais pas à Hippocrate. Si quelqu'un doit parler, c'est le légiste.
Mais de chaque côté, celui du médecin comme du policier, mieux vaut se taire. Ou tout au moins être discret sur cet appel téléphonique du 5 juin.

De plus, comment la juge d’instruction apprécierait-elle cet oubli dans les aveux ?


Ce jour-là, le docteur Vuillet voit une femme qui crie et vocifère dans la garrigue provençale au milieu d’un impressionnant dispositif policier. Ce n’est sûrement pas le moment de l’énerver un peu plus en reconnaissant ce que l'on a oublié : faire dire au gardé à vue qu'il aurait fait usage de pierres.

 Surexciter la juge, ça ne profitera certainement pas à l’inculpé. Et comme le docteur Vuillet à parait-il de la « compassion » pour lui …

 

 

 

Le legiste 13chapeau

 

Le docteur Vuillet est face à un choix binaire :

 

les choix du docteur Vuillet

 parler 

 se taire 

ses interlocuteurs

inspecteur Porte

le policier risque de rappeler le coup de fil

le secret du coup de fil est maintenu

Melle Di Marino

la juge peut reprocher de la légèreté professionnelle

la juge est sensée avoir lu  le rapport d’autopsie

 

On voit donc à partir de ce croisement de données que le docteur Vuillet a doublement intérêt à se taire. Il se sent de toute manière couvert par ses écrits. Son attitude suit donc les 2 principes de la colonne verte au-dessus. Pas d'ennuis éventuels pour le policier. Pas de rappel à faire à la juge si elle a bien lu le dossier.

 

Plus tard, on lui reprochera d’autres silences, des informations non évoquées au procès.

Aux journalistes il répond ceci :

« J’étais étonné qu’on ne m’ait pas posé plus de questions. »

Certains ont le droit de voir dans cette formulation une manière plus ou moins habile de faire porter le chapeau à d’autres.

 

 

 

Le legiste 14stratégies

 

Le docteur Vuillet a certes de la compassion pour chrisitan Ranucci.

Mais pas au point de lui trouver des circonstances atténuantes.
«  Un service militaire dans des conditions normales, suivi d’un travail réguliers. Qu’est-ce que vous voulez lui trouver comme circonstances atténuantes ? »

A vous tous qui auriez des ennuis judiciaires. De très graves qui vous envoient au pénal, retenez la leçon :

- devant la cour et les jurés, faites le numéro du gendre idéal comme à un repas  avec sa belle-famille

- mais devant le psy, passez pour un simple d'esprit qui n'a jamais rien fait de bon

 

 


Le legiste 15inversion

 

La suite, on la connait. Chrisitan Ranucci rétracte ses aveux 6 mois après les faits.

Évidemment, personne ne le croit.


analyse uchronique :

Mais que serait-il advenu sans le coup de fil entre l’inspecteur Porte et le docteur Vuillet ?
Chrisitan Ranucci signe alors des aveux où il n’est question que de cailloux pour tuer la victime. Une fois que les conclusions d’autopsie rejoignent le dossier d’instruction, ces aveux incomplets deviennent caducs.

Christian Ranucci n’a même plus besoin de se rétracter. Une procédure correctement menée établit que les conclusions de l’interrogatoire sont nulles et non avenues.


« Vous avez avoué devant la Police, (respiration), Vous avez avoué devant le juge d’instruction (respiration), Vous avez avoué devant les experts psychiatres. »

On se souvient des phrases assénées avec emphase par maître Collard au procès.

Mais on a aujourd’hui la preuve que l’on aurait fait avouer à christian Ranucci n’importe quoi.

On peut douter que compter seulement sur la régularité d’une procédure aurait pu tirer d’affaire christian Ranucci. Mais une autre voie de délivrance pourrait se montrer plus efficace. C’est celle qui forge l’opinion publique : la presse.

 

 


Le legiste 16
la faille

 

Sans le coup de fil de docteur Vuillet à l’inspecteur Porte, la presse aurait dû « faire » avec ce qu'avaient fourni les policiers.


analyse uchronique :

 

Les journaux du lendemain titreraient alors « le tueur aux cailloux ». Tout cela pour devoir se rétracter 3 semaines plus tard et parler de « l’assassin au cran d’arrêt ».
Sans le coup de fil, la presse se devait de reconnaître précocement sa méprise. De là apparaissait une 1ère faille ouvrant sur le doute. La défense n’avait plus qu’à s’y engouffrer.

Et quand le 8 mars 1976, maître Lombard convoque à diner les journalistes, c’est à des reporters bien moins sûrs d’eux a qui il aurait affaire.

 

 

 


Le legiste 17conclusion

 

Aussi incroyable que cela puisse paraître, christian Ranucci a bien failli signer des aveux où il n’était nullement question de couteau.
Au final, c’est l’inverse qui se produit : ce sont les pierres qui sont oubliées.

Sans le coup de téléphone entre le policier et le légiste, les aveux s’écroulaient, l’accusation avec, et la presse devait faire son mea-culpa.

Il est moins sûr que christian Ranucci aurait rapidement recouvré la liberté. Ça lui laissait le temps d’apprendre l’espagnol. Juste avant de faire ses cartons pour le Venezuela.

Mais pour parodier un slogan publicitaire qui viendra une décennie plus tard :

« le bonheur ...

Pardon : le malheur ... c’est simple comme un coup de fil »

 

 

 

 

  • 4 votes. Moyenne 2 sur 5.

Ajouter un commentaire