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la demande de grâce

un malentendu dramatique

La demande de grace 01Que griffonne christian Ranucci durant son procès ?

 

Une ébauche de négociation à sa liberté.

 

Une tractation qui lui sera fatale au moment de la demande de grâce.

 

Mais les malentendus commencent dès le début de l’enquête.

 

 

La demande de grace 02les aveux

 

5 juin 1974.

Au bout des deux heures d'interrogatoire, christian Ranucci reconnait son accident de voiture. Le lundi de pentecôte près de Marseille.

Les policiers vont dès lors enquiller. Ils lâchent le véritable objet de la garde à vue :

« Et la petite fille morte ? »

C’est là qu’intervient une incompréhension mutuelle.

« la petite fille ? » Christian Ranucci en fait une déduction logique. Celle de n’importe qui dans cette situation. Il imagine qu’il a tué quelqu’un dans la collision. Dans un 1er temps tout au moins.

La suite, on la connait. Aveux complets au bout de 18e heure de garde à vue.

Mais des années plus tard, les confidences d’un policier laissent peu de doute sur l’amorce des aveux. Le début de consentement forcé repose sur une méprise sur les conséquences de l'accident. Et ce ne sera pas la seule situation équivoque dans le suivi de cette affaire. Jusqu'à l'issue fatale.

Car deux ans plus tard, nous sommes à l’autre extrémité de la chaîne judiciaire : arrive le moment ultime de la demande de recours en grâce. Et de nouveau intervient une ambivalence, tout aussi dramatique.

 

 

 

La demande de grace 03humanisme

 

Maître Lombard rencontre le président de la République le 21 juillet 1976.

Doit-il jouer sur la corde sensible pour demander la grâce ?

« Vous n’avez pas le monopole des cœurs. »

Cette réplique, le président en a déjà usé pour déstabiliser un adversaire. C'était au cours dans un débat télévisé resté dans les mémoires. Riposte fatale face à françois Mitterrand. Et la citation pourrait bien resservir.

 

Car en matière d’humanisme, maître Lombard n’est pas en situation de monopole. Il y a la concurrence de la mère de la victime. L’avocat ne le sait peut-être pas, mais elle a écrit à l’Elysée pour supplier que l’on n’accorde pas la grâce.

Alors, forcément, il va falloir trouver autre chose. Heureusement, il lui reste encore deux options. La première, c'est l’âge de l’accusé. Mais en second, on peut encore exploiter le doute sur sa culpabilité.

 

 

 

La demande de grace 04jeunesse

 

Maître Lombard peut mettre en avant l’âge de l’accusé.

20 ans au moment des faits.

Et ça tombe plutôt bien. Son adjoint au procès, maître Le Forsonney est à peine plus âgé que le condamné. Quoi de plus parlant que de le faire venir dans le bureau présidentiel. Sa présence peut donner un coup de pouce au propos.

Mais maître Lombard n’a pas plus le monopole du cœur que son client n’a le monopole de la jeunesse. Car rappelons que la victime quant à elle n’avait que 8 ans.

La tactique est bien trop risquée. Utiliser l’argument de l’âge du condamné, c’est faire apparaître en filigrane celui de la fillette.

Donc, mieux vaut éviter cette concurrence de l’âge. La défense serait forcément perdante. Et comme l’adjoint n’a pas fait preuve de ses talents au procès, sa présence à l’Elysée n’est pas nécessairement indiquée.

 

 

 

La demande de grace 7face à face

 

Maître Lombard n’a certes pas le monopole du cœur.

Mais le président n’a pas non plus l’apanage de la vérité.

L’avocat avait échoué dans sa démonstration du doute. Devant la cour comme face aux journalistes. De quelle manière agir pour que le président ait une oreille plus attentive ?

Maître Lombard avance alors un argument audacieux. Il explique que son client réclamerait des dommages et intérêts. Une compensation aux préjudices de son incarcération.

Maladresse ? Ou bien provocation outrancière ?

 

 

 

La demande de grace 06logiques

 

« Quand on se prétend innocent on doit normalement demander réparation ? »

Cette éventuelle critique, maître Lombard a choisi de l’anticiper. Soyons clair : l’avocat n’est pas là pour négocier. Il ne cherche qu’à crédibiliser le cri d’innocence de son client.

 

On peut effectivement en dégager 2 interprétations :

 

           

si le condamné clame son innocence, alors pourquoi s’abstiendrait-il de demander un dédommagement ?

c’est une question de  cohérence

 

ou

   

ce jeune homme de 22 ans est-il vraiment conscient de sa situation pour réclamer de l’argent ?

le doute sur sa clairvoyance justifierait bien la circonstance atténuante

Dans l’un ou l’autre des cas, maître Lombard fait vivre un être avec ses failles, ses retranchements. Un accusé qui dans son box au procès fuyait les débats en griffonnant sur un papier. Il calculait les compensations à exiger une fois son innocence reconnue.

Evoquer ainsi le désormais condamné, est une manière de le rendre imparfait, et donc humain. Replié dans sa logique, ou dans ses errements. C’est selon.

 

Quoi que l’on pense de la stratégie de l’avocat, elle peut avoir son effet. Sauf que pour le coup, l’effet est dévastateur.

 

 

La demande de grace 07objectif

 

Maître Lombard a au moins atteint un but : capter l’attention de son interlocuteur.

Le chef de l’état a fait ses armes à l’inspection générale des finances. Lui causer « argent » ? Forcément que ça lui parle !

Mais qu’entend-il vraiment ? On connait désormais le nouveau chef d’état par ses interventions télévisées. Tableaux de courbes graphiques à l’appui, il a les manières d’un professeur d’économie pour présenter sa politique.

Ses préoccupations sont bien loin de celles d’un juriste. Si bien que lui et l’avocat n’iront pas forcément donner un sens équivalent pour un même mot.

 

 

La demande de grace 08préoccupations

 

« Il avait l’allure d’un homme d’affaire américain. Genre, on va moderniser l’industrie, on va rationaliser la production, etc… »

Ainsi est résumé habilement par le chanteur bernard Lavilliers le président élu par les français en 1974.

On l’a parfois oublié, mais l’homme politique arrivé au pouvoir après georges Pompidou incarne un renouveau d’énergie. Il a même au sein de la jeunesse ses admirateurs. Parmi ses « fans », un certain … christian Ranucci.

Ce président dynamique s’illustre par des apparitions sportives sur le terrain de foot ou les pistes de ski.

Mais toute la journée à l’Elysée, il reste plongé dans les dossiers économiques. Des experts dans ces domaines défilent dans le bureau présidentiel.

 

Voilà qu’en milieu de journée débarque l’avocat venu plaider la cause d’un gars qui a tué un enfant. C’est le procès qui l’a dit, et la presse n’a pas contredit.

Passer de l’avenir industriel du pays à un fait divers, il y a un gouffre entre les deux. Mais quand l’avocat parle d’argent, le président retrouve ses repères.

 

 

La demande de grace 09analyse

 

Comment le président peut-il comprendre la requête pécuniaire du condamné ?

On vient de le voir, soit l’individu prolonge la logique de l’innocence qu’il proclame. Soit on peut y déceler un indice de sa déraison.

Mais notre président est hélas plus économiste que psychologue. Et il n’a pas fréquenté la fac de droit comme d’autres qui occupèrent sa fonction.

Son domaine à lui, c’est les finances. Toute la journée on vient le conseiller sur les choix d’investissement public. Quand on ne lui soumet pas les revendications des syndicats encore puissants à l’époque.

L’avocat est-il perçu différemment ?

 

 

 

La demande de grace 10au suivant !

 

Scène du film de michel Drach "le pull-over rouge":

la rencontre avec le président a lieu dans le calme de la tombée de la nuit.

 

Dans la réalité, cela s'est déroulé tout autrement. L'entretien a lieu en plein milieu d'un après-midi d'été. Entre deux rendez-vous où chacun va faire valoir l’importance son action. Et de l’urgence de la financer.

Comment peut être appréhendée la "requête en compensation financière" soumise par l'avocat ? Elle passe comme un wagon qui se raccroche au train des quémandeurs. C’est un démarcheur de plus qui vient tendre sa sébile à l'Elysée. Ce n’est même pas la bourse ou la vie, mais la bourse ET la vie !

L’idée de maître Lombard valait pourtant le coup d’être tentée. Sauf que l’argument se retourne en définitive contre lui. Le président n’est visiblement pas sur la même longueur d’onde.

 

On peut avoir l’illusion de se comprendre parfaitement par les mots, sans pour autant les saisir de la même manière.

 

 

 

La demande de grace 11sens

 

Quand on n’a pas le même métier, on ne voit pas la même réalité derrière les mots.

Si un policier parle de « sous-marin » à un navigateur, le marin ne visualise pas en 1er une voiture banalisée servant à faire le guet.

De même, un juge qui discute des « greffiers » avec un défenseur des animaux ferait bien de lui préciser qu’il ne s’agit pas de nos sympathiques matous.

Et un bourreau qui parle de sa « bécane » avec un cycliste ? Encore faut-il savoir que dans le jargon des exécuteurs, la bécane, c’est la machine, c’est à dire la guillotine.

 

Dans le bureau de l’Elysée le 21 juillet 1976, se joue un dialogue de sourd entre un juriste et un financier. Deux lettrés coutumiers de l’argumentation subtile et rompus aux débats mouchetés. Deux hommes qui pourtant ne vont pas réussir à se comprendre.

 

 

 

La demande de grace 12épilogue

 

Le sort veut que la demande de grâce tombe au pire moment que l'on osait imaginer.

Nul doute que l'annonce d'un autre enlèvement d’enfant crée un climat explosif.

Nul doute également que la supplique écrite par la mère de la victime contre la grâce ait lourdement pesé. Le président l’a lui-même reconnu.

Mais il y a aussi la rencontre entre deux hommes aux préoccupations si différentes. Une discussion qui ne trouve pas son terrain d'entente mutuelle. Du coup, un argument a priori intelligible passe pour une provocation indécente.

Une déroute pour l’avocat. Le but était d'ouvrir la voie vers le doute. Mais il avait choisi un chemin risqué.

 

Christian Ranucci rêvait lui d'autres chemins. Ceux de la liberté.  Des chemins qui le conduiraient jusqu'en amérique du sud, au Vénézuéla. Le voyage s’arrêtera au pied de la guillotine.

 

 

 

 

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