l'autre procès

1974 = affaire Ranucci

+ procès Goldman

si le justice est un tournois, alors les règles ne sont pas toujours les même à l'entrée en lice

la chanson

En 1975 sort une chanson qui évoque une affaire criminelle.

S'agit-il de l'affaire Ranucci ?

Extrait :

Soyez satisfait, commissaire,
Vous n'avez pas été trop long
Pour mettre un nom sur cette affaire
Tant pis si ce n'est pas le bon.

Tant pis si chez vous, on dispose
De moyens pas toujours très clairs.
La vie d'un homme est peu de chose
A côté d'un rapport à faire.

Dormez en paix, monsieur le juge.
Lorsque vous rentrez du travail,
Après le boulot, le déluge,
Tant pis pour les petits détails.

Rassurez-vous, témoins du drame,
Qui n'étiez pas toujours d'accord
Puisqu'aujourd'hui on le condamne
C'est donc que vous n'aviez pas tort.

Ces couplets apparaissent dans un texte interprété par maxime le Forestier. Ils évoquent l'affaire pierre Goldman.

Certains y verront la tentation de comparer à l'affaire Ranucci.

icône

Christian Ranucci devait être coupable à tout prix.

Certains en avaient décidé ainsi.

Mais d’autres au contraire devaient être innocents, absolument.

Tel était le cas de pierre Goldman.

Le demi-frère de la future star de la chanson était lui-même une vedette. En 1968, il dédaigne les barricades du quartier latin, et s’embarque pour l’amérique latine. Là-bas, il rejoint les guérilléros de la cordière des Andes.

« Embrasse ton amour sans lâcher ton fusil » clamait l’un des slogans de mai 68.

Alors qu'après les émeutes, les étudiants rentrent dans le rang, pierre Goldman défend son amour de la liberté les armes à la main. Sauf qu’à son retour en France, abattre deux pharmaciennes dans un braquage qui a mal tourné n’est pas très glorieux.

Que le guérilléro puisse tirer sur un grand patron  pourrait encore trouver des laudateurs. « C’est de la légitime défense ! » diraient-ils en substance.

Mais là il s'agit de deux employées d’une officine ! En plus de ces 2 morts, c’est le mythe du « che Guevara français » qui est tué.

Pierre Goldman est-il le coupable de ce double assassinat ?

Impossible pour certains.

Et ce sont des noms prestigieux qui s’évertuent en 1974 à clamer son innocence.

La même année, l'innocence de christian Ranucci ne convainc guère qu’une personne : sa mère.

ambivalence

Pierre Goldman est la mauvaise conscience de ceux qui ont fait 68.

Quoi que le "Che français" ait pu faire, lui ne s’est pas couché devant le système. Ceci peut expliquer ses dérives dans la criminalité, à défaut de les justifier. Car pierre Goldman reconnait avoir réalisé des braquages, mais réfute le double meutre. C'est ce beaucoup ont envie d'entendre et de croire.

Nombreux sont ceux qui n’ont fait que traverser mai 68 comme un grand carnaval. Se revendiquer trotsko-situationnistes, c'était pour la frime. Et maintenant ils poussent le bluff jusqu’à prétendre qu’ils sont passés " à 2 doigts " de finir comme Goldman. De là vient la compassion que l'on doit au copain de pseudo-révolution qui n’a pas su s’arrêter à temps.

Pour les agitateurs de salon, christian Ranucci incarne sans le savoir le déjà vieux avant d’être jeune. Il est l'image d'un conformisme désolant, et que l’on rêvait de ne plus voir exister.

Christian Ranucci veut "faire son trou" dans la société sans le moindre état d'âme.  Ce qui signifie pour d'autres un avilissement volontaire sans même être passé par le purgatoire des barricades. Au regard des soixanthuitars, Ranucci incarne l’image d’un système qu’ils font encore semblant de honnir.

enjeu

Qu’attend-t-on du procès Goldman ?

Pour certains, la preuve que « l’homme nouveau » est une réalité.

Un système totalitaire tel que le nazisme laisse s'épanouir la nature perverse d'un individu.

Mais pierre Goldman est cultivé et considéré par ses pairs comme équilibré. S'il part soutenir les camarades guérilléros en amérique du sud, il ne peut en revenir que foncièrement grandi.

Cette démonstration "quasi-scientifique", certains voudraient la voir validée par le procès. Encore faut-il que l'innocence de  Pierre Goldman soir reconnue.

A l'opposé, qu’attend-t-on du procès Ranucci ?

« Qu’on le tue sans procès. » lit-on dans un journal.

Que l’auteur se console. Le procès a bien lieu, mais le sort de christian Ranucci est définitivement bouclé en 2 jours.

soutien

Christian Ranucci n’eut pour tout comité de soutien que Mme éloïse Mathon.

Puis Monique, une ancienne de ses petites amies venue au procès.

Rien à voir avec pierre Goldman pour lequel on réunit un aréopage prestigieux.

En 1^er lieu jean-paul Sartre. Le philosophe invitait à la prudence pour critiquer l'URSS. « Il ne faut pas désespérer les ouvriers à la chaîne de Billancourt » est la formule restée dans les mémoires.

Concernant pierre Goldman c’est un peu pareil. On ne peut pas ôter leurs chimères aux révolutionnaires romantiques de la Sorbonne.

A côté de Sartre vient s’assoir maxime le Forestier. En plein conflit des générations, le chanteur de « la maison bleu » fait cause (du peuple) commune avec l’existentialiste. Et pour brasser encore plus large et gagner définitivement la sympathie de l’opinion publique viennent dans la liste des pétitionnaires les deux Simone : De Beauvoir et Signoret.

Même du fin fond de la jungle vénézuélienne, les « camarades guérilléros » font parvenir un message de soutien.

Le cas de christian Ranucci ne déclenche malheureusement que des pétitions appelant à sa condamnation à mort.

cassation

Un comité de soutien est toujours une arme à double tranchant.

La justice n’aime pas se faire influencer.

Mais force est de constater que la chance continue de sourire à pierre Goldman : son 1^er procès le déclare certes coupable, mais lui fait échapper à la peine capitale. De plus, ses avocats réclament la cassation, et ils l'obtiennent.

A l'inverse, christian Ranucci additionne les malheurs à son procès. En triste apothéose, le procureur prend la parole après la plaidoirie des avocats. C’est un déni des usages élémentaires. Certains y voient de manière ambigüe un « cadeau » permettant d’obtenir à coup sûr la cassation.

Malgré l’invocation par les avocats de 4 motifs distincts, dont la non-transmission d’informations à la défense, aucun vice de forme n’est pour autant retenu. Il n’y a plus que la grâce présidentielle comme ultime secours.

En revanche, pierre Goldman a droit à une seconde chance devant les juges. Le vice de forme est accepté : le greffier a omis dans un des procès-verbaux d’audience d'écrire … la date du jour !

le père

Tout le monde s’accorde à dire que l’on doit toujours être jugé pour ce que l’on a fait.

Et non pas jugé sur ce qu'on fait  nos parents.

Mais pierre Goldman est le fils de deux héros de la résistance. Il voue de l'admiration pour son père.

Prendre les armes au Venezuela est pour lui le prolongement du long combat pour l’émancipation humaine. Et beaucoup le voient comme tel.

Christian Ranucci n’a lui aucune raison d'admirer son père. Car ce dernier a pour seul fait d’arme était d’avoir blessé au visage sa mère avec un couteau. Ce traumatisme d’enfant mérite pour certains des circonstances atténuantes, propos laconiquement entendus après son exécution.

Mais au moment du procès, cet élément joue contre lui. On considère chez les « experts » que ce traumatisme d'enfance est la composante germinatrice de la violence inouïe près du carrefour de la pomme : la petite victime est lardée de coups de couteaux et le crâne fracassé avec des pierres.

Les experts voient dans l’acte une forme de mimétisme. Devenu adulte, l’individu s’identifie au père en reproduisant sa violence. Le fait qu’il s’attaque à un enfant correspond à la violence morale subie quand il avait l’âge de la victime. Une sorte de « chacun son tour » inique.

On rétorque aisément que le casier judiciaire de christian Ranucci  est vierge. D’ailleurs on ne lui connait aucune agression sur personne.

Mais cela n’arrête guère nos « experts ». Bien au contraire. Ce contrôle apparent cacherait en fait (toujours selon eux) un volcan intérieur trop longtemps contenu, et qui explose à l’âge de 20 ans.

La faute du parent qui se répercute sur son enfant est un principe biblique (eh oui !) qui semble avoir durablement imprégné les esprits.

récit

Pierre Goldman écrit :

« je croyais que ma vie s’achèverait sous les balles des ennemis de la révolution, quelque part sur une plage du Pacifique. Mais mon horizon se heurte aux 4 murs gris de ma cellule pour me promettre un avenir infamant. »

extrait  de « Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France »

L’ouvrage devient le livre de chevet des chambres d’adolescent avec poster du « che » au mur.

Chrisitian Ranucci écrit :

« A ces charognards qui suent le crime et la peur d’être découverts, opposons la sérénité et l’innocence et notre mépris. Nous vaincrons. »

Christian Ranucci n’aura qu’une personne pour y croire et le lire : sa mère.

Libération

Pierre Goldman obtient son acquittement de l’accusation de meurtre.

Il réintègre la vie civile comme chroniqueur dans un titre de circonstance : Libération.

Le journal répond poliment à l’invitation de maître Lombard qui souhaite alerter les médias sur les doutes dans l’affaire Ranucci. Mais comme l’ensemble des confrères de la presse écrite,  le titre relaie - pour ne pas dire relègue - mollement ses propos.

Et pourtant, 3 ans auparavant, Libération avait sa conviction affichée en éditorial sur une autre affaire célèbre : celle de Bruay-en-Artois. Le notaire était forcément l’assassin de la fille d’un mineur de fond !

aura

Avant comme après son procès, pierre Goldman profite de son aura d’aventurier pro-castriste.

L'homme est passé de la ferveur des nuits de la Havane à la moiteur de la jungle vénézuélienne. Il y a de quoi émoustiller le romantisme révolutionnaire et se faire une carrure de légende.

Question "marketing", christian Ranucci n’a que son image de représentant de commerce dans la région de Marseille, vendant des climatiseurs.

Qui irait donc admirer quelqu’un dont le seul idéal dans la vie est de rouler en Mercédès avant l’âge de 30 ans !

Christian Ranucci n’avait jamais eu ni le chic, ni l’opportunisme, d’avoir été leader lycéen. Sinon, on n’aurait pas parlé de « l’affaire Ranucci », mais du « complot contre le camarade christian ».

Il lui aurait suffit quelques sympathies supposées pour l’activisme libertaire ou gauchisant, et certains journalistes ou leaders d'opinion se seraient empressés pour la probité des idées progressistes de vérifier de plus près les propos des témoins à décharge.

Un garagiste, un concierge et une femme au foyer avaient vu un homme au pull-over rouge qui n’était pas christian Ranucci. Quoi de plus belle aubaine pour démontrer que « le vrai peuple, celui des petites gens, détient la vérité ! »

Sûr que ces témoignages auraient fait une pleine page dans Libération. Avec dans le bas, en dessous des articles, un formulaire détachable pour faire signer la pétition : " nous voulons que la vérité explose !"

Quant aux trois témoins accusateurs … rappelons que l’on a affaire à un pion de lycée, et un gérant de société et sa femme à manteau de fourrure !

épilogue

Christian Ranucci et pierre Goldman connurent tous les deux une fin tragique.

Mais la vie accorda au second un sursis qui lui permis de devenir père. Juste avant son assassinat qui reste encore aujourd'hui un mystère.

Si le justice se déroulerait comme un match de foot, le résultat serait de 1 à zéro au sifflet final, mais égalité aux prolongations. Pourtant, un évènement aurait pu changer les règles d'arbitrage.

Tout le monde sait aujourd’hui ce qu’est « l’effet papillon ». Un simple battement d’aile d’insecte pourrait parait-il, par des  successions d'évènements, déclencher une tempête à l’autre bout de la planète.

Le même enchaînement aurait pu profiter à christian Ranucci. Pour un pavé "glorieusement" jeté sur les forces de l’ordre durant sa scolarité, il se serait forgé une tout autre image qui lui aurait pu lui éviter la guillotine.