le parloir
quand un enregistrement fait "pschitt !"
le 18 juin 1974, christian Ranucci avoue à sa mère être l’auteur du crime
une confession qui encore aujourd’hui suscite bien des polémiques
la confession
« -Dis-moi que ce n’est pas toi qui a fait ça.
- C’est moi maman. C’est forcément moi. »
Ce dialogue, entendu au parloir de la prison, n’est pas la 1ère fois ou le fils reconnait devant sa mère être l’assassin de la fillette.
La toute 1ère fois, c’est le 6 juin, à l'hôtel de police de Marseille. On est à l’issue des 17 heures de garde-à-vue. Les policiers lui ordonnent :
« Répète à ta mère ce que tu nous a raconté ! »
le piège
La confession obtenue au parloir n’a aucune valeur juridique.
Tout au plus, les confidences recueillies en ce genre d'endroit peuvent servir de pièce à conviction, d'élément d'investigation. Autant dire que ça n'a pas grand intérêt dans une enquête déjà bouclée, où les aveux ont été obtenus.
Alors pourquoi s'intéresser aux conversations entre une mère et son fils. A-t-on besoin de mettre le parloir sous écoute ?
Il semble plus crédible que les propos ont seulement été répétés par un gardien, présent à la rencontre entre le fils et sa mère. Il s’agit donc d’un simple témoignage.
Libre à certains d'y voire une confirmation des aveux. Ils argumenteront que l’échange entre mère et fils se fait sans pression policière.
Il n'en reste pas moins que la formulation est ambiguë : « C’est forcément moi. » Cela fait étrangement écho aux propos qu’il tient 10 jours auparavant devant son avocat …
l’entrevue
Un procès en pénal commence toujours par la phrase rituelle :
« L’accusé plaide-t-il coupable ou innocent ? »
Selon la même logique binaire, l’avocat pose la même question à sa 1ère visite à la prison des Baumettes :
« Etes-vous l’assassin ? »
Ce qu'entend en retour maître Le Forsonney nécessite son commentaire :
« C’est alors, » explique-t-il, « qu’il me fait une réponse biaisée :
- C'est moi, c'est forcément moi "
On a la même réponse qu’il donnera 1 semaine plus tard à sa mère. Et le propos reste tout aussi ambigu.
La conversation au parloir ne dispose d’aucun enregistrement, mais on aurait bien aimé en disposer d'un pour l’interrogatoire au commissariat.
Hélas, pour que ce genre de procédure soit homologuée, il faudra attendre l’année 2011 …
la vengeance
2011 est l’année de l’affaire du « tueur de l’Essonne ».
Le 1er décembre, michel Courtois, un ouvrier soudeur de 46 ans est arrêté pour le meurtre de son ancienne compagne.
La victime est une laborantine de 35 ans qui habitait Juvisy-sur-Orge, en région parisienne.
Le casier judiciaire du suspect est vierge, tout comme l’était celui de christian Ranucci. De plus, le soudeur a un alibi : il jouait au tiercé à l’heure du crime. Il réussit même à présenter un ticket de caisse daté avec l’heure. Mais ce document qui a priori le disculpe n’est pas annexé au dossier.
L'élément qui ne colle pas avec les résultats attendus de l'enquête est abandonné.
Tout comme dans une logique inverse le pull-over rouge sera vite oublié dans l’affaire Ranucci.
les traces
Souvenons-nous, Christian Ranucci avait les mains égratignées.
Certains y voient les traces laissées par les ronces et piquants qui recouvraient le cadavre.
Michel Courtois a quant à lui des traces de poudre brûlée. On les trouve sur les 2 manches de sa veste. On conclue qu’il tenait le pistolet à 2 mains pour tirer.
La petite marie-dolorès enlevée à Marseille avait été lardée de 15 coups de couteau.
L’acharnement est comparable à celui subit par la laborantine assassinée à Juvisy : 7 balles dans le corps !
Michel Courtois avoue le crime passionnel.
la série
Michel Courtois est maintenant derrière les barreaux.
Pourtant l’arme du crime, un calibre 7,65 continue de tuer.
Une 2e victime est à déplorer en février. Puis encore une 3e le mois suivant. A la 4e, le mois d’après, un nouveau suspect est arrêté.
Michel Courtois reste pour autant incarcéré. Car il y a ses aveux.
Sauf que les magistrats ont décidé d’écouter les enregistrements d'interrogatoire. Et ce qu’ils découvrent …
la « BO »
Le métier de policier est comme n’importe quel métier.
Les progrès techniques leur demandent de s’adapter. Mais comme partout, les vieilles habitudes ont la vie dure.
C’est ce que constatent les magistrats à l’écoute des enregistrements d’interrogatoire. Le prévenu se contente de répondre mollement par l’affirmative aux assertions qu’on lui soumet.
Et pourtant, sur le procès-verbal écrit, cela devient un récit limpide rédigé à la 1ère personne.
inédits
L’enregistrement offre tout de même quelques phrases non reprises par le procès-verbal écrit.
On y entend Michel Courtois s’autoriser :
« Ça peut-être moi ou pas moi, faites votre enquête. »
Cette pique semble lui être soufflée par le fantôme de christian Ranucci :
« Vous avez ce que vous vouliez entendre, voilà ! »
Il envoie cette réplique au procès d’Aix-en-Provence en 1976.
A son procès christian Ranucci, dont les nerfs craquent, lance :
« Les policiers voulaient de toute force me faire dormir à Salernes, alors bon, J’ai dit que j’avais dormi à Salernes. »
On ne peut pas savoir intégralement comment il réagissait durant son interrogatoire par les policiers. En revanche, aux entrevues d’instruction, ses réactions sont les même que celles observées pour michel Courtois. Une forme d'abandon teintée d'indifférence. Le prévenu se contente de répondre mollement par l'affirmative aux assertions qu'on lui soumet.
doute
Comment christian Ranucci réagissait-il en garde-à-vue face aux policiers ?
Compte-tenu de ce que l’on a pu voir ou savoir du déroulement de l’instruction, de la reconstitution, et surtout du procès, on a bien du mal à croire qu’il avait l’alacrité et le contrôle de soi suffisants pour démarrer ses aveux par :
« je préfère libérer ma conscience et vous dire tout ce que je sais sur cette affaire … »
Christian Ranucci aurait signé des aveux débutant par « il était une fois … », on n’en serait pas moins surpris.
libération
Si christian Ranucci avait eu droit à un interrogatoire enregistré, son sort aurait pu en être changé.
Pour michel Courtois, le soudeur, l'enregistrement phonique lui a permis de sortir de prison plus tôt. Outre l’arrestation du vrai coupable qui deviendra connu sous le nom du « tueur de l’Essonne », un autre mystère va être résolu.
Quelle était donc cette poudre brûlée relevée sur les manches de sa veste ?
Le métier de michel Courtois est rappelons-le soudeur. Les traces de poudre laissées par son travail lui auront coûté 7 mois d’incarcération.
En 1974, quel intérêt à écouter les conversations au parloir de la prison?
On aurait préféré que soit enregistré l’interrogatoire à l'hôtel de police de Marseille.
Considérons seulement les aveux obtenus à l’insu de l’inculpé alors qu’il parlait avec sa mère aux Baumettes. Cet épisode ne trouble nullement ceux qui défendent son innocence. On en veut pour preuve que le réalisateur michel Drach intègre même cette scène dans son film « le pull-over rouge ». L'acteur reprend la phrase de christian Ranucci : "c'est forcément moi".
Mais comment doit-on comprendre le terme « être forcément coupable » ?
On a juste envie de dire qu’il y a été "forcé", tout simplement.
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