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le dernier livre

quand le philosophe vient soutenir le condamné

Le dernier livre 01 min

« négatif ! »

 

christian Ranucci lance cette réplique au prêtre juste avant que les aides-bourreaux ne l'emmènent

 

l'explication se trouve

dans ce livre

 

 

 

Le dernier livre 02 minespoir

 

 

Christian Ranucci avait-il la foi ?

 

le jeune homme avait une liaison avec une femme mariée. Pour sa dernière sortie dominicale en l'état d'homme libre, il ne va pas à la messe, mais fait la tournée des bars de Marseille.

Bien avant l'affaire, en une période plutôt apaisée, il confiera un jour à sa mère ses dernières volontés. En cas de malheur il souhaiterait être incinéré et aucun prêtre à la cérémonie.

Et pourtant, le 9 mars 1976, c'est arborant une croix imposante qu'il fait son apparition dans le box des accusés. "une croix d'archevêque" décrira maître Le Forsonney.

Se pourrait-il que la situation qu'il vit aurait réveillé en lui une foi insoupçonnée ?

 

On a vu des gens semblant avoir perdu toute conviction religieuse, au point d'en railler les dogmes, mais qui une fois atteints par une maladie partent en pèlerinage à Lourdes.

Comment justifient-ils ce retournement ?

"des fois que ... on sait jamais" , " de toute façon, ça peut pas faire de mal".

 

Dans le cas de christian Ranucci, l'affichage d'un signe religieux lui a plutôt porté préjudice.

Le pendentif est du plus mauvais effet sur un  public et des jurés que la presse a convaincus de sa culpabilité. Mais cette croix,  c'est surtout pour faire plaisir à sa mère. Tout comme il lui promet de prier tous les soirs à 21h, en même temps qu'elle.

 

Dans sa cellule où la monotonie des journées en ajoute à la torture intérieure, le passage de l'aumônier est toujours appréciable pour entretenir l'espoir qu'il garde intact. Mais on peut comprendre que pour les derniers instants, la présence du représentant des cultes lui soit insupportable. 

On le comprend d'autant mieux si l'on se plonge dans ses dernières lectures ...

 

 

 

Le dernier livre 03 min  concordance

 

« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même »

 

Cette phrase n’a pas été écrite par christian Ranucci du fond de sa cellule de condamné à mort. C’est celle qui débute l’ultime ouvrage de jean-jacques Rousseau. On conçoit qu’elle ait pu interpeler le condamné.

 

On ignore si sa période d’incarcération finale a laissé le temps à christian Ranucci de finir le livre. On sait en revanche que Rousseau n’eut pas le temps d’en terminer la rédaction. Il rédige 10 chapitres, 10 « promenades » comme il les nomme, dont la dernière reste inachevée.

 

Ces écrits occupent les 2 dernières années de la vie de l'écrivain, interrompue par une crise d’apoplexie. Les 2 dernières années de vie de christian Ranucci furent derrière les barreaux. Et lui aussi eut besoin de coucher ses tourments intérieurs sur papier.

 

 

 

Le dernier livre 04 minle choix

 

 

Pourquoi le prisonnier choisit-il cet ouvrage dont la lecture n’est pas des plus facile ?

On vient de le voir, la 1ère phrase ne peut que l’interpeler.

"Me voici donc seul sur terre ..."

Mais peut-être tout simplement se reconnait-il à travers le titre du recueil.

 

Le promeneur solitaire : c’était un peu la façon dont il avait envisagé cette balade de juin 1974 où il disait « vouloir visiter l’arrière-pays ». Le week-end allait lui être fatidique.

 

Le promeneur solitaire, c’est bien lui à en croire son entourage. Ses copains de service militaire décrivent un esprit aimant fuir l'entourage. Il refuse le plus souvent les sorties en bande pendant les permissions, et garde le secret de ses escapades au retour à la caserne.

 

"- t'étais seul ?

- je suis toujours seul dans ces histoires là."

Cette réponse, c'est celle de christian Ranucci le 3 juin 1974 au propriétaire de la champignonnière. Il est venu l'aider à désembourber sa voiture.

La réplique est parfaitement anodine. Mais les partisans du "Ranucci coupable à tout prix" ne se gêneront pas pour l'interpréter.

 

 

 

Le dernier livre 05 mindoute

 

« Négatif ! »

La réplique lapidaire de christian Ranucci à son aumônier juste avant l’exécution est restée dans les mémoires.

Celui qui abordait une croix énorme sur la poitrine devant ses juges avait visiblement perdu la foi.

 

Mais à la lecture des « rêveries du promeneur solitaire », il est  possible qu’il ne fait qu’épouser les conceptions de Rousseau :

 

"Je ne puis m'empêcher de regarder désormais comme un de ces secrets du Ciel impénétrables à la raison humaine la même œuvre que je n'envisageais jusqu'ici que comme un fruit de la méchanceté des hommes."

 

Rousseau, perpétuel torturé par un syndrome de persécution, regarde son sort comme voulu par Dieu. Il s'aperçoit que la méchanceté des hommes est trop parfaite, trop absolue, pour être chose humaine. Elle résulte donc selon lui d'une volonté divine.

 

Christian Ranucci ne le sait pas, mais la mère de la victime a signé une lettre adressée au Président de la République lui enjoignant de refuser la grâce. Mais avant cela, la litanie des personnages qu'a pu côtoyer le condamné en sursit ne peut lui apporter qu’une vision terrifiante de la nature humaine.

 

Réels ou inventés, les sévices qu’il évoque à l’interrogatoire sont au moins mentaux. On lui a mis la pression pour signer des aveux. Mais peut-être se rend-il compte maintenant que Pierrot, le « flic sympa » qui lui offrait les cigarettes et qu’il appelait par son prénom étaient partie prenante du stratagème.

 

Suivent les comparutions devant la juge d’instruction. Les policiers qui l’accompagnent témoignent de la férocité dont elle fait preuve.

L’acmé des déchaînements verbaux arrive avec le procès, par la foule criant "à mort" au dehors. A l’annonce du verdict, le tout juste condamné lâche depuis son box : « il sont fous ».

 

Voit-il une méchanceté divine derrière cela ? A sa mère qui lui avait promis qu’une femme viendrait témoigner sur le « pervers au pull-over rouge », il avait écrit :

« Voilà l’évènement que l’on attendait. Je serai bientôt libre, et nous pourrons démarrer une nouvelle vie ».

Mais ce signe du destin, œuvre céleste ou non, le renvoie au final en enfer.

 

Qu’ils semblent bien dérisoires les tourments de Rousseau qui s’est senti blessé par ses contradicteurs. Si on les compare bien sûr à l’angoisse qui étreint le condamné dans l’attente. Pour autant, christian Ranucci peut trouver dans les propos du philosophe les mots pour exprimer sa douleur. Des mots pour des maux.

 

 

 

Le dernier livre 06 minévasion

 

Coincé entre les 4 murs gris de sa cellule, christian Ranucci n’a qu’1 heure de promenade par jour.

Il tente de profiter des rayons de du soleil appuyé contre le pan de muraille qui est exposé.

 

Les descriptions par Rousseau des bords de lac en Suisse ne peuvent qu’évoquer cette nature devenue inaccessible et cette quiétude si désirable.

 

« Le bruit des vagues et l'agitation de l'eau, fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation, la plongeaient dans une rêverie délicieuse ... »

 

Mais les réflexions qui suivent ramènent immédiatement le condamné à sa piètre condition.

 

Partant de la plénitude à se laisser bercer par cette nature apaisante, Rousseau définit le bonheur comme "un état fugitif qui nous laisse encore le cœur inquiet et vide, qui nous fait regretter quelque chose avant, ou désirer encore quelque chose après."

 

Ces mots résonnent de manière évidente à la situation du prisonnier. On sait ce qu’il peut regretter de sa vie d’avant, tout comme ce qu’il peut encore désirer pour l’avenir. Même s’il ne voit pas cet avenir sur les bords d’un lac helvétique, mais bien plus loin, de l’autre côté de l’atlantique.

 

 

 

Le dernier livre 07 mintourmente

 

Il faut attendre la 5e promenade, c’est-à-dire la 5e partie du livre de Jean-Jacques Rousseau pour découvrir les paysages champêtres.

En revanche, dès la 1ère partie, christian Ranucci a de quoi trouver de tragiques repères.

 

Il découvre un homme qui dans d’autres conditions a comme lui a été insulté et blessé par ses contemporains. Il préfère fuir ce monde hostile pour trouver un peu d’apaisement dans la solitude.

 

Après les tempêtes du procès, les vilipendes subies par sa mère, christian Ranucci peut trouver une forme de contentement dans son isolement forcé. Et même si cette solitude est une torture, Rousseau lui enseigne quelle à ses avantages. D’autant plus qu’il garde un espoir constant.

Son avocat, maître Le Forsonney, dira même qu’il avait visité un jeune homme convaincu qu’il serait gracié.

 

 

 

Le dernier livre 08 minl’accident

 

« Il aurait suffi d’un clou sur la route, j’aurais crevé un pneu, et le stop, l’accident, et ses conséquences n’auraient pas existé ».

 

L’accident est le point central de son affaire pour christian Ranucci. Et cette pensée qu’il écrit à sa mère n’est que le prolongement d’une obsession qui le poursuit depuis l’étape de l’inculpation.

 

Il se trouve que dans la 2e « promenade », Rousseau évoque un accident qui aurait pu  couter la vie à l’écrivain. En 1776 il est blessé alors qu’il se promenait au nord-est de Paris. Les passants croient à sa mort, et leurs réactions ne fait qu’amplifier son aversion vis-à-vis de la nature humaine.

 

Il faut dire que Rousseau a toute sa vie été d’une susceptibilité à fleur de peau, jusqu’à en développer un syndrome de persécution.

 

Pour christian Ranucci en tout cas, l’ignominie de la nature humaine ne peut pas être une simple vue de l’esprit.

 

 

 

Le dernier livre 09 minstratégie

“Un innocent persécuté prend longtemps pour un pur amour de la justice l'orgueil de son petit individu.”

Du fond de sa cellule, christian Ranucci a de quoi méditer sur cette affirmation. Est-ce par « orgueil » qu’il a refusé de plaider coupable ?

 

« l'amour de la justice » ne peut pas être celle qu'il a rencontrée au tribunal d'Aix-enProvence. Lui qui promettait à sa mère que son innocence pleine et entière allait éclater au procès. La Mercedes blanche, forme de panache dans laquelle il se voyait sortir du tribunal, a été louée pour rien.

 

Alors, aurait-il dû écouter ses avocats qui l’exhortaient à reconnaître le crime pour avoir au moins la vie sauve ? Pas question pour lui de transiger, ni sur son honneur, ni sur sa liberté. Et à travers les propos de Rousseau il trouve matière à se renforcer dans ce choix :

 

“C'est la force et la liberté qui font les excellents hommes. La faiblesse et l'esclavage n'ont fait jamais que des méchants.”

 

 

Le dernier livre 10 minvérité

 

S’il faut trouver une morale à une attitude qui a été désavouée, alors christian Ranucci peut éprouver du réconfort dans les écrits de Rousseau :

 

“Mentir, c'est cacher une vérité que l'on doit manifester.”

 

Et pour que cette vérité voit le jour, le procès est pour l’accusé le moment où il ne se gêne pour s'exprimer avec véhémence. Martelant le box de son poing, il n’hésite pas à interrompre le président de séance par un vitupérant « négatif ! ». Quand il n’affecte pas un air de dédain ostensible à l’écoute de la biographie que l’on s’autorise à son sujet.

 

A ce titre il semble en phase avec les principes de Rousseau :

 

« Je paraîtrais à mes contemporains méchant et féroce quand je n'aurais à leurs yeux d'autre crime que de n'être pas faux et perfide comme eux. »

 

Hélas pour christian Ranucci, son attitude sans fard joue en contre lui. Elle contribue à donner de lui une image déplorable auprès du tribunal, auprès des jurés, ainsi que le public et la presse.

Doit-il pour autant regretter cette attitude ?

Christian Ranucci a le temps de s’interroger dans sa cellule. Il en fait part à sa mère. Certes il n’avait ni regret ni remord à exprimer au procès, pas plus qu’il n’avait le désir de s’attirer quelques sympathies. Il s’est montré tel qu’en lui-même : un jeune-homme révolté contre la condition qui lui est faite.

 

Mais avec le recul, il se rend bien compte que cela a pu jouer en sa défaveur. A la souffrance morale de l’attente s’ajoute une culpabilisation pour le coup bien réelle. Il n'avait pas répété le rôle de l'accusé humble et contrit.

Les propos qu’il peut lire à travers Rousseau semblent de nouveau lui donner raison et soulager ce questionnement interne :

 

« Soyons toujours vrai au risque de tout ce qui en peut arriver. La justice elle-même est dans la vérité des choses. »

 

 

 

Le dernier livre 11 mincombat

 

Face à l’adversité, on ne peut que constater un mimétisme dans les écrits de l’auteur et son lecteur.

 

        
   
   
   
Le dernier livre 12 min
                         
   
   
   
Le dernier livre 13 min
     
Si j'étais resté libre, obscur, isolé, comme j'étais fait pour l'être, je n'aurais fait que du bien : car je n'ai dans le cœur le germe d'aucune passion nuisible.  

Il suffit de se donner la peine de connaître mon passé et mon caractère pour mesurer combien, dans ce sordide assassinat, le seul soupçon est sot et grotesque.

     
En me rendant insensible à l'adversité ils m'ont fait plus de bien que s'ils m'eussent épargné ses atteintes.  

Ceux qui veulent se débarrasser de moi, croyant se mettre à l’abri, ne peuvent pas gagner.

Il faut lutter.

     

Ils ne m'empêcheront pas de jouir de mon innocence, et d'achever mes jours en paix malgré eux. 

 

A ces charognards qui suent le crime et la peur d’être découverts, opposons la sérénité et l’innocence et notre mépris.

Nous vaincrons.

 

 

A comparer les 2 écrits, on pourrait bien se tromper : lequel doit-on à jean-jacques Rousseau, lequel est de christian Ranucci ?

 

 

 

Le dernier livre 14conclusion

 

« un informe journal de mes rêveries »

Ainsi dénommait jean-jacques Rousseau le dernier ouvrage auquel il prêta sa plume. Pour  autant, les écrits trouvent indéniablement un écho dans les lettres de christian Ranucci à sa mère.

 

Dans l’un comme l’autre, on trouve le besoin de se livrer, de témoigner, avant le risque de disparaître.

 

A deux siècles d’écart, les deux protagonistes sont animés d’une même désillusion face à l’adversité. Mais ils partagent aussi une même détermination à se sentir en accord avec leur propre morale.

 

Et le mot de la fin pourrait revenir à jean-jacques Rousseau :

 

«  Suffit-il de n'être jamais injuste pour être toujours innocent ? » 

 

 

 

 

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