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le juré

la mort ne fait jamais de rabais

 Le jure 018 jurés sur 9 déclarèrent christian Ranucci  coupable. Sans circonstance atténuante.

Pour les magistrats, il était clair que cela signifiait la mort.

 

Il est moins sûr que les citoyens

tirés au sort l'aient tous compris.

 

 

 

Le jure 02la mise

 

Du fond de sa cellule à la prison des Baumettes, christian Ranucci rêve de contrées ensoleillées.

Il est persuadé que le procès démontrera son innocence. Et déjà il songe aux réparations financières qu'il pourra réclamer.

Tel un gagnant d'une publicité pour le loto, il se voit sortir du tribunal à bord d'une Mercédès blanche.

 

La justice française a la réputation de ne rétribuer que chichement les victimes de ses erreurs.  Qu'à cela ne tienne : christian a une autre carte secrète dans sa manche. Un passage à la banque, et " bingo ! ". Il convertit la somme en bolivar.

Avec cela il fait 2 fois la culbute. Pour le prix d'un misérable mas ici, on peut s’offrir une hacienda dans la pampa. Et il se voit déjà partir avec sa mère pour cette destination pour nouveau riche.

 

" adios Francia,

le Vénézuéla me tend les bras ! "

 

Hélas, depuis sa prison, il ne mesure peut-être pas le climat d'hostilité qui pourrait bien contrecarrer ses plans. La population française, largement influencée par des éditoriaux de journaux terrifiants, le considère maintenant comme le pire des assassins. Et c'est dans cette population que viennent d'être choisis les jurés qui décideront de son sort.  

 

 

 

Le jure 03 minla convocation

 

Être tirés au sort sur les listes électorales pour devenir juré de cour d'assise, cela relève du pur hasard.

Et pourtant, avoir son nom sélectionné dans le groupe convoqué au tribunal,  il y a là pour certains de quoi revendiquer une petite fierté. Juré d'assise, un titre provisoire qui donne l'envie de prendre son rôle au sérieux.

 

Ce mardi 9 mars 1976 au matin, les récusés, les "perdants", quittent la pièce du tribunal d'Aix-en-Provence où on été accueillis les "candidats". Reste un petit groupe de 9 personnes qui se dévisagent mutuellement. Ils vont cohabiter pendant 2 jours, face à celui que la presse a décrit comme un monstre.

Nous allons suivre les péripéties de l'un de ces jurés durant le procès, mais aussi après.

 

Il s'appelle "Gérard". Gérard prend à bras le corps son nouveau rôle car il se sent investi d'une mission :

" faire payer l'assassin ! " 

 

Gérard n'est pas un bouillant partisan de la peine de mort. Pas un laxiste non plus.

Ce qu'il veut seulement "c'est faire payer l'assassin". Sans savoir qu'à l'opposé l'accusé lui, veut faire payer l'état. Christian Ranucci attend du procès  qu'on lui finance son rêve de contrée lointaine.

 

Bien évidemment Gérard ne sait rien de ce projet.  Il en aurait vent, alors pas question que celui qu'il va découvrir en vrai aille galoper dans la pampa. Où gambader où que ce soit ailleurs en liberté. Il préfère le voir rester entre 4 murs. " Perpet' "

 

Dans la salle du tribunal, il y aura au moins une personne qui croit à l'innocence. Et qui est au courant du projet "Venézuéla". Mme Mathon l'a confié à la presse : son fils du fond de sa prison apprend l'espagnol.

Si l'inculpé travaille la linguistique, Gérard le juré cogite l’arithmétique. Il dévisage ses 8 partenaires qui partageront le banc face au box de l'accusé. 7 hommes et une femme. C'est avec eux, on lui a expliqué, qu'il devra répondre à une série de 6 questions. Et pour que la condamnation soit exemplaire, il l'a bien compris, on exigera un minimum de 6 réponses "OUI" sur 9, à chaque vote.

 

Une seule tactique : se la jouer "collectif". Pas questions que les frileux aient des scrupules.

 

 

 

Le jure 04la stratégie

 

En 1ère ligne face à une opinion publique particulièrement hostile, les avocats sont dubitatifs.

Ils ne partagent guère l'optimisme de leur client. le jeune homme table sur la reconnaissance de son innocence. Pour ses défenseurs, il s'agit  d'un pari à haut risque.

 

Le trio d'avocats est d'accord sur un point : il serait préférable de plaider la culpabilité pour éviter de perdre le procès. On joue la prudence en plaçant comme autant de jetons des arguments de circonstance atténuante pour gagner des points.

Quitte à remettre en jeu la peine en cassation. Ou ensuite continuer la partie en révision.

 

Pour christian Ranucci : pas question de biaiser. On mise tout sur la case "acquittement".

Il sortira libre. Son honneur et celui de sa mère en seront lavés.

"Dame Justice" pourrait jouer les croupières pour l’accusé et ses avocats en lançant : « faites vos jeux ! ». Mais hélas, comme le dit la formule, « rien ne va plus ».

 

 

 

Le jure 05 minle théâtre

 

Gérard avec ses 8 "nouveaux amis" se voit expliquer son rôle en détail.

Du début à la fin du procès il faut suivre en silence les débats. Tout en scrutant celui que l'on dépeint comme un monstre.

 

Le décor du tribunal impressionne. Les robes noires pour certaines agrémentées de rouge, tenues réglementées des acteurs de justice créent une théâtralisation qui intimide. Le décorum, le symposium, contribuent à renforcer la cohésion sur le banc des jurés. Ainsi ils forment une petite communauté restreinte qui ne doit durer que le temps du jugement. Ces témoins muets découvrent ensemble un univers totalement nouveau pour eux. Ils observent presque envieux les auxiliaires de justice, avocats, greffiers, ou autres, qui ont leurs aises dans cet endroit, et ne craignent pas d'échanger quelques paroles entre eux.

Que peuvent-ils bien se dire ? Impossible de l'entendre car leurs mots sont couverts par le bruissement du public. Il est présent dès le 1er jour. Pas de séance en huis-clos de prévue. Les jurés scrutent cette foule d'anonymes bien moins intimidée. Tout le monde est présent depuis l'entrée de "la cour !". Mais tout le monde pense à l'absent. Comme au théâtre, le moment tant attendu va arriver : l'entrée de l'accusé dans son box.

 

 

 

Le jure 06 minl'apparition

 

 

 « Quand on l’a vu arriver dans le box des accusés avec sa croix autour du cou, on a trouvé qu’il avait du culot pour un assassin d’enfant »

 

Ce témoignage lapidaire ne vient nullement d'un membre du public. Il s'agit des paroles que prononcera plus tard un juré.

L'accusé n'a même pas encore parlé. Ses avocats non plus. Mais le voilà coupable d'office !

 

C'est une trentaine d'années plus tard que le juré livre cette confidence face caméra. Garder le secret de la délibération n'est guère plus d'actualité.  Mais de toute manière, son avis était déjà fait avant le procès.

 

Revenons à Gérard, l'autre juré que l'on a choisi de suivre. Avec un tel "ami" à ses côtés, il peut sans le savoir compter sur un solide appui qui ne risque guère de fléchir.

 

 

 

Le jure 07 minla cohésion

 

 

La 1ère journée de procès organise le mode de vie des jurés.

Le groupe vit tantôt en vase clos, quand ils partent déjeuner, tantôt affrontant en spectateur ce théâtre intriguant où la foule du public participe à la mise en scène.

 

L’issue finale n'est pas encore écrite. En principe tout au moins.

 

On déjeune à la même table, et pour ceux qui viennent de loin, on partage le même hôtel. A moins d'avoir mauvais caractère, mieux vaut se raccrocher à cet entourage imposé. Ensemble on affronte plus sereinement une réalité parfois déconcertante.

 

Il n'est pas question de se fâcher avec ses compagnons. Alors si possible, on partage le même point de vue.

( un comble quand on songe que le juré doit exprimer son avis en toute indépendance ! )

 

 

 

Le jure 08 minenfin !

 

 

Au 2e jour, le défilé à la barre des témoins, des enquêteurs ou des experts est achevé.

Le procureur prononce un réquisitoire terrifiant.

Sauf que maintenant, les avocats voient venir leur tour. A eux de plaider.

 

C'est avec plaisir que les jurés accueillent l'annonce de leur intervention. Non pas que l'on attende enfin des paroles d’apaisement, pétries d'humanité. C'est seulement que leur plaidoirie annonce la fin prochaine des débats. Et tout le monde a hâte d'en terminer avec ce procès. Dans cette atmosphère où l'on suffoque de chaleur.

 

Sur le banc des avocats, il n'en reste plus que deux, sur les trois au 1er jour. Il est fâché ? Il est souffrant ? Peu importe. La fin de la (longue) plaidoirie de l'aîné des deux avocats est accueillie avec soulagement. On le sait, "la cour va se retirer". Et les jurés vont pouvoir sortir aussi.

 

Pourtant, le procureur reprend la parole. Il s'autorise une ultime tirade, totalement inattendue, et c'est pour "enfoncer le clou". Personne ne proteste. Tout le monde se lève. C'est un soulagement que de pouvoir se dégourdir un peu. 

 

"On va aller délibérer !"

 

 

 

 Le jure 09 minl'attente

 

 Les portes de la salle de délibération viennent de se refermer.

Les avocats rejoignent celle des pas perdus.

On ronge son frein comme on peut.

 

C'est dans des moments comme celui-là que certains aimeraient que la téléportation temporelle ait été inventée. Même avec une machine ayant des performances modestes. Histoire de faire un saut dans le futur de seulement 1 ou 2 heures.

 

Pour autant, maître Lombard sait bien que le temps qui passe joue en sa faveur. Sa raison voudrait ralentir le temps, son impatience voudrait l'accélérer. Mais son expérience du barreau lui fait savoir qu'une délibération longue est souvent la promesse d'un verdict plus clément.

Et justement, nos jurés semblent prendre leur temps. Après des audiences et des plaidoiries qui pour certains observateurs considèrent tenir du naufrage, il y a enfin une raison de reprendre espoir.

 

 

 

Le jure 10 minavertissement

 

"Sachez qu'avec les remises de peine, celle qui sera prononcée risque de n'être exécutée que pour moitié par le condamné".

 

 Gérard a bien pigé le message :

 " Pour que le condamné purge la peine qu'il mérite,

demandons le double !"

 

Mais il n'y a pas de peine au-dessus de la perpétuité, si ce n'est la mort.

La grâce ? Elle est d'office acquise. Le président de la république a déclaré "sa profonde aversion pour la peine de mort".

Donc aucun risque.

 

Gérard se voit un peu comme un de ses amis syndicaliste.  Celui qui dit qu'il faut toujours en demander plus, pour seulement obtenir ce que l'on convoite. 

Et même, il pense aussi à un commerçant de son quartier. Le malin gonfle toujours ses prix juste avant les soldes. Ça  permet d'anticiper la ristourne.

 

La mort a cependant de singulier qu'elle ne fait pas de rabais. Elle ne prévoit pas non plus de rétractation ou remboursement.

Mais comme de toute façon, il y aura la grâce, alors ...

 

 

 

Le jure 11 minla décision

 

 

 Les avocats le savent bien.

Des tests l'ont confirmé :

 

- les décisions prisent rapidement sont radicales

- celles qui prennent leur temps sont plus timorées

 

Maître Lombard ne croit pas un seul instant à la reconnaissance de l'innocence. La seule décision radicale qui serait prise rapidement ne pourrait être que la condamnation à mort.

 

Alors, même si l'attente est une torture, autant qu'elle dure !

 

 

 

Le jure 12 minl'enjeu

 

Derrières les portes toujours closes de la salle de délibération, les jurés bénéficient d'un cours de droit accéléré.

 

Ils découvrent l'article 222-7 du code pénal. Celui-ci définit l'action "ayant entraîné la mort sans intention de la donner". 

 

On évoque cette clause. L'idée circule autour de la table que l'accusé ait pu enlever la fillette sans l'intention de la tuer. C'est l'accident de la route, et la panique  qui s'en est suivie qui ont conduit à l'irréparable.

 

"Trop facile !" exulte en lui-même Gérard. "On ne le laissera pas s'en tirer comme ça".

 

La formulation du code pénal le laisse quelque peu narquois.

"Bla-bla-bla sans l'intention de tuer ?" Pense tout bas Gérard. "Tout juste si on va pas finir par nous dire que c'est le cou de la fillette qui s'est malencontreusement fiché dans le couteau imprudemment laissé ouvert. On se fiche de nous !"

 

La réflexion sur la circonstance atténuante décuple l'exaspération de notre juré. S'il le faut, il motivera les indécis.

 

 

 

Le jure 13 minle leader

 

 

Pour les avocats, l'attente qui se prolonge est toujours de bon augure.

Sauf qu'une réserve à cette règle à de quoi tempérer le regain d'espoir.

 

L'expérience montre qu'un débat qui se prolonge voit l'émergence d'un ou plusieurs leaders d'opinion. Au fur et à mesure que la discussion s'enlise, les participants ne savent plus trop quoi penser. Ils perdent leur objectivité et se refusent à adopter une position claire.

 

Cette fuite en avant face à la responsabilité s'accompagne de la prédominance accrue du "chef autoproclamé". Et chacun s'accorde à trouver plus facile de se soumettre à son avis.

 

Les avocats le savent aussi, ça marche aussi très bien avec les gardes à vue. Au bout de 18 heures, on peut être convaincu d'avoir tué quelqu'un. Christian Ranucci avait-il encore tous ses repères quand il signe ses aveux ? Il semble y avoir oublié jusqu'à sa date de naissance si on lit le procès verbal !

 

Pour nos jurés, on ignore si les 2 heures de délibération ont vu l'apparition "d'un petit chef". On connait en revanche le résultat qui ne laisse aucune place à la mansuétude.

 

 

 

Le jure 14 minla roulette russe

 

Être l’un des arbitres de la vie de quelqu’un est une responsabilité pesante, voir terrifiante.

Ou peut-être moins avouable : follement excitante.

 

Il n’est pas donné à tout le monde l’occasion d’être tiré au sort pour assister au procès d’un crime de sang.

 

En délibération, le vote est une sorte de roulette russe. Le revolver utilisé serait à 9 coups, comme peuvent l'être certains modèles Smith & Wesson. Mais un mystère vient pimenter le "jeu" : on ne sait pas à l'avance combien il y a de balles dans l’arme.

 

La différence est que ce ne sont pas des munitions que l’on introduit dans le barillet, mais des bulletins que l’on glisse dans une urne. L’urne tourne autour de la table, comme le barillet sur son axe.

 

On dit vider une arme pour faire feu. On dit également vider une urne. Celle-ci n'est pas encore funéraire.

 

Pour Gérard le suspens est à son comble. Le secret de délibération va être bien difficile à garder.

 

 

 

Le jure 15 minambiance

 

"J'ai eu peur" évoque paul Lefèvre dans ses souvenirs.

"Jamais ne n'ai ressenti à un procès un tel climat de haine".

 

Le chroniqueur judiciaire décrit la masse humaine agglutinée devant le tribunal d'Aix-en-Provence les 9 et 10 mars 1976. Elle aussi attend le résultat des votes.

 

Ce tumulte extérieur ne parvient pas jusqu'à la salle de délibération. Pour autant, le juré ne peut pas ignorer ce que l'on attend de lui au dehors. Il n'est pas la main qui tient le mécanisme qui actionne la guillotine. Son rôle est d'écouter, analyser, réfléchir.

Mais peut-on le faire sereinement quand on à vu cette foule déchaînée crier "à mort !"

 

"J'ai eu peur" dit paul Lefèvre. La peur est rarement bonne conseillère. Et pourtant elle répand son odeur fétide parmi les jurés tout au long du procès. 

 

 

 

Le jure 16 minla tactique

 

"L'accusé est-il coupable ?"

Le "OUI" l'emporte sans surprise.

 

Souvenons-nous. L'un des jurés l'avait considéré comme tel dès son arrivée dans le box.

"L'accusé a-t-il des circonstances atténuantes ?"

 Gérard craint que certains ne se défilent.

 

"Si les pétochards votent NON, l'assassin s'en tire avec 20 ans et ressort au bout de 12, tout au plus !".

 

Gérard n'hésite plus à montrer sa détermination pour que les autres lui emboîtent le pas.

Le vote est une sorte de loterie. Lui voit l'affaire comme un stand de foire. Il vise la cible "peine de mort" pour faire tomber le lot "perpétuité".

 

 

 

Le jure 17 min le résultat

 

Les avocats  ont immédiatement leur réponse en voyant revenir les jurés à leur banc.

Pas un regard pour l'accusé, à l'exception de l'unique femme du groupe qui a un haut-le-cœur.

 

Il faut au minimum 6 bulletins "NON" à la dernière question aux jurés pour que la mort fasse son entrée par la grande porte. Il y en a au final 2 de plus, ce qui en fait 8, pour rajouter l’absence de circonstances atténuantes à la culpabilité.

 

Les avocats se demandent si l'on a bien expliqué les conséquences aux jurés :

CULPABILITÉ   -   CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES   =   MORT

Expliqué sous forme de soustraction, tout le monde comprend. Mais les avocats le savent mieux que quiconque : cette justice qui aime encore le latin n’apprécie pas les raccourcis. Tout au moins les raccourcis de langage ... 

Mis à part l'accusé et ses avocats, ils sont bien peu à se désespérer.

 

Pour tout le monde ou presque, la sensiblerie est à réserver à la victime.  C'est ce qu'ils croient être le triomphe de la raison.

Vous avez dit raison ?

"Il sont fous" lâche christian Ranucci depuis son box.

 

 

 

Le jure 18 minla rupture

 

Même si les votes ont été quasi-unanimes, l'unité du jury disparait sitôt le procès terminé.

Pour Gérard, comme pour les autres, ces 2 jours le marqueront à jamais.

 

Pour autant, il n'existe pas d'amicales des anciens jurés.

Se revoir ? Peut-être.

Attendons tout de même que la grâce soit prononcée. C'est seulement une question de décence.

 

 Une fois la condamnation prononcée, tout le monde se sépare sans échanger d'adresse ni de numéro de téléphone. On repart chacun de son côté, pour se retrouver seul, tôt ou tard, face à sa propre conscience. 

Pour l'unique jurée qui a refusé la mort, ça ne traîne pas. Sur le chemin du retour à son domicile, elle doit arrêter sa voiture sur le bas-côté pour se mettre à pleurer.

 

Comme la prescience d'une suite implacable.

 

 

Le jure 19 minl'expectative

 

Pour le désormais condamné et ses avocats, commence une nouvelle attente intolérable.

A la différence de la délibération, on ne souhaite guère avoir la possibilité d'accélérer le temps.

Chaque minute qui passe, même désagréable, est malgré tout un sursis, une victoire sur la vie.

 

Christian Ranucci garde le moral.

"Il était convaincu qu'il allait être gracié" confirmera plus tard son avocat, maître Le Forsonney.

 

Gérard, l'ancien juré, songe lui aussi à l'angoisse qui étreint le condamné. Mais sans trop le plaindre. Pour lui c'est une forme d'équité. La souffrance morale de l’exécuté en sursis ne fait que répondre aux instants horribles qu'a connu la victime avant de succomber.

 

 

 

Le jure 20 minla grâce

 

 

A l'annonce radiophonique de sa grâce, christian Ranucci demande à prendre une douche.

C'est le genre de nouvelle qui vous file de sacrées suées.

 

Son gardien s'en souvient parfaitement : Il se plaint que la douche est froide. Mais c'est une autre douche froide bien plus terrible qui attend celui qui se croit sauvé, quand on révèle le canular.

 

Les illusions de Gérard sont également douchées. Avec les enlèvements d'enfant qui font l'actualité, l'opinion publique s'enflamme. Il ne manquerait plus que l'on fasse "un exemple" pour apaiser les esprits.

 

Dans ce cas l'ex-juré restera "le gars bien". Mais seulement auprès des partisans déclarés du "rasoir national". Le genre de notoriété parfois embarrassante, et qui ne passe pas dans tous les milieux ...

 

 

 

Le jure 21 minl'exécution

 

La citation de christian Ranucci est passée à la postérité :

"A la loterie de la vie, j'ai tiré le mauvais numéro sans même avoir pris mon billet"

 

Gérard a également tiré le mauvais numéro. Ou plutôt, il avait choisi le mauvais bulletin. Sans imaginer qu'en l'introduisant dans l'urne, c'est comme s'il faisait tomber le couperet.

 

Peut-il mettre en cause le hasard ? Seule la sélection des jurés est un tirage aléatoire. Un fois que l'on est choisi, chacun reste libre et responsable de ses décisions.

 

Dans ce moment de faiblesse Gérard a envie de crier :

" Y'avait pas que moi ! Et les autres alors ? ... "

 

Les autres ?

Le vote est un moyen pratique de diluer sa responsabilité. Pour certains, c'est même un paravent confortable à leur bonne conscience. 

Un peu comme les 3 armes chargées à blanc dans le peloton d'exécution. Ça dissuade les moins "enthousiastes" de refuser d'appuyer sur la gâchette.

 

Pour Gérard qui a voté la mort sans jamais croire qu'elle serait appliquée, l'auto-satisfaction n'a été que de courte durée. Et ce contentement s'effondre totalement avec l'annonce de l'exécution. 

 

 

 

Le jure 21bis minréminiscence

 

 

"Après tout on a tué un assassin d'enfant." 

Cette pensée qui devrait l'aide à se rasséréner, ne fait que ressasser une mauvaise conscience croissante à l'égard du condamné.

Tout assassin qu'il est, ce n'en est pas moins un individu que l'on a vu bien vivant, et même vitupérant dans son box. Entendre relater sa vie ne l'a pas rendu plus sympathique. Bien au contraire. Mais connaître sa (courte) vie fait que ce n'est pas un anonyme qui vient de mourir. C'est même, avec le recul, un homme avec lequel les jurés ont connu des moments forts, indélébiles.

 

Deux ans plus tard, le souvenir s'est estompé. Gérard parvient à chasser cette pensée.

Illusion trompeuse, car la sérénité sera bientôt malmenée. D'abord comme un écho lointain, la polémique enfle. Elle est relayée par la presse et les média, jusqu'à la sortie du film. 

 

 

 

Le jure 22 mintrahison

 

Les journaux ressortent toujours de vieilles histoires quand ils n'ont rien à raconter.

Surtout quand vient l'été.

Mais la controverse sur le cas Ranucci n'est pas qu'une simple remise en lumière sur une affaire passée.

 

Il semble que la polémique se propage comme une épidémie. Elle touche tout le monde, acteurs de l’affaire comme observateurs.

 

Pour Gérard qui se voulait humaniste sans être laxiste, c'est la plaie que l'on rouvre avec une douleur décuplée. 

Alors, Que faire ?

 

Gérard est courageux. Il ne feint pas d'ignorer ces tergiversations qui ne changeront rien.

Mais quand même : mieux vaut écouter ceux qui confirmeront "il était bien coupable !"

 

 

 

La planque 20 minretournement

 

Fort heureusement, les gens qui ont démontré la responsabilité de christian Ranucci parlent.

Ils viennent à la rescousse de notre pauvre Gérard. Du moins l'espère-t-il.

 

A commencer par ce professeur grand et sec qui parlait si bien. Notre juré se souvient combien il en imposait face aux juges. "D'ailleurs l'autre agité dans le box a fini par se calmer, et ne s'est pas permis de l'interrompre".

 

A la barre, on a pas trop bien compris les explications savantes de l'expert. Il décrivait les diverses raisons qui avait amené l'accusé à tuer. Des raisons mais pas d'excuse, c'est bien ce que Gérard voulait entendre.

 

Une chose est sûre, le brillant professeur avait démontré scientifiquement à l'assistance pourquoi l'individu dans le box était indubitablement coupable.

Gérard ne se permettrait jamais de contredire son médecin. Mais discrètement, il pourrait aller en voir un autre pour un deuxième avis.

Mais que dire d'un expert qui représente à lui-seul 11 de ses collègues. Toute une batterie de tests à été mise en œuvre pour étudier l'accusé. C'est du sérieux tout de même ! 

 

Gérard n'avait rien compris à ce que disait ce ponte de la médecine. Normal : sinon ce ne serait pas un expert. Mais l'homme avait l'art et la manière de se montrer convaincant.

Les plus instruits du tribunal s'étaient inclinés. Le président n'avait trouvé rien à rajouter. L'avocat s'était fait moucher.

 

2 ans après l'exécution, les choses ont bien changé. Cette fois Gérard comprend pleinement au moins cette nouvelle phrase de l'expert :

"si j'avais été juré, je n'aurais certainement pas condamné Ranucci à mort."

 

 

Le jure 23 mingrosse colère

 

"Ben, fallait-le dire avant !"

Les propos de l'expert psychiatre dans la presse ont mis Gérard hors de lui.

"Tout son joli blablabla, son baratin, ça nous passait au-dessus de la tête. Mais ça au moins on l'aurait compris : faut pas voter la mort. Fallait nous donner de l'utile, du pratique, et pas nous réciter un cours d'université."

 

On se demande à quoi sert un psychiatre ou un psychologue, s'il n'est pas capable de faire passer un message intelligible à des gens qui doivent prendre une décision terrible. C'est comme le pompier pyromane, ou le policier voleur.

 

Gérard enrage : "L'expert n'a rien fait pour empêcher qu'on prenne LA décision. Et maintenant, voilà que c'est de notre faute. Aucun honneur ce type qui a fait son serment ... d'Hyppocrate.

P comme psychiatre, psychologue, et comme fils de P..."

 

Il y aussi P comme policier. Et l'un d'entre eux ne tarde pas à rappliquer.

 

 

 

 

Le jure 24 mincoup de grâce

 

Vous avez demandé la police ?

Elle débarque 2 jours après l'expert.

Oublions donc le ponte de la médecine. Celui qui ose affirmer que tout le monde s'est trompé sauf lui. Passons à un homme de terrain.

 

Ce n'est pas n'importe quel policier qui dans les 48 heures vient livrer sa vérité aux journaux. Encore une fois, Gérard se souvient parfaitement de lui. Ce commissaire avait réalisé un sans faute dans sa démonstration du déroulement de l'enquête. Un exposé aussi précis que parfaitement maîtrisé. Même l'accusé l'avait laissé parler sans broncher. C'est dire !

 

Mais le moment dont notre juré se souvient le mieux, c'est quand depuis la barre, il se tourne vers le box pour lancer "Vous êtes un monstre !"

Ça vaut les diagnostiques de tous les experts du monde.

 

2 ans après, le policier n'a rien perdu dans sa limpidité et du mordant dans ses propos :

"Personnellement, j'estime qu'il avait un minimum de circonstances atténuantes. Je ne l'aurais pas condamné à mort. C'est un garçon qui était persécuté par le destin."

 

 

 

Le jure 25 minchute finale

 

"Il l'a traité de monstre devant nous en plein tribunal.

Et voilà maintenant qu'il s’apitoie sur la vie de ce ..."pauvre garçon" ! Des larmes de crocodile sur un cadavre."

 

Pour Gérard, c'est le 2e coup de couteau dans le dos.

Psychiatre ou policier, on croirait le défilé des Ponce Pilate. Ceux qui viennent se laver les mains en public.

 

Gérard fulmine.

"Et la vie de ceux qu'on est venu chercher pour assister au procès : vous y avez pensé ? Moi comme les autres, j'avais rien demandé.

On a écouté tout le monde, et on a suivi l'avis de ceux qui disaient que c'était un monstre. On leur faisait confiance. Et voilà maintenant qu'ils nous trahissent !"

 

 

 

Le jure 26 minsens du devoir

 

Gérard se considère comme le brave citoyen qui n'avait rien demandé. Il a juste rempli son devoir.

Pour autant, a-t-il le droit de se considérer comme "le brave petit soldat de la justice"?

 

Le militaire, quoi qu'il ait fait, peut toujours prétendre qu'il obéit aux ordres. A l'inverse, le juré doit analyser, apprécier et prendre sa décision. Il est son propre chef, à commencer par son chef de conscience.

 

Et la quiétude d'esprit qui jusqu'à présent tant bien que mal est parvenue à l'accompagner, cette tranquillité est en train de déserter.

 

 

 

Le jure 27 min dilemme infini

 

Avoir raison seul contre tous les autres :

ça existe !

 C'est le cas de l'unique juré qui vota les circonstances atténuantes. Le seul moyen d'éviter l'irrémédiable.

 

Gérard ignorait que c'était la femme du groupe. S'il l'avait su, il l'aurait considérée comme une lâche. Maintenant, ... maintenant il l'envie.

 

Un article du code pénal revient en boucle dans sa mémoire :

" action ayant entraîné la mort, sans intention de la donner ".

Cela ressemble étrangement à son cas : il a voté la mort sans trop y croire.

"Ce principe de non intention, c'est pour les criminel. Moi, comme les autres, on voulait faire la justice."

 

Mais si comme l'affirment certains, et de plus en plus nombreux de surcroit, le condamné est innocent, alors la différence devient floue. Lui comme les autres ont envoyé à la mort sans forcément le souhaiter.

 

Gérard tente comme il peut de chasser les mauvaises pensées de son esprit. Il y était presque parvenu durant les 2 années qui avaient suivi l'exécution.

Mais ces idées reviennent quand même s'inviter dans son esprit, comme un parasite invisible et inextricable.

 

Au final il l'accepte comme sa propre peine. Une forme de condamnation à perpétuité.

C'est ce qu'il voulait d'ailleurs.

Mais pas pour lui !

 

Ce qu'il veut maintenant pour lui-même, c'est ce que le condamné a demandé dans ses derniers instants de vie :

"réhabilitez-moi !"

 

 

Le jure 28 min

 

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Commentaires

  • GERMAIN
    • 1. GERMAIN Le 31/10/2014
    Desmond:
    un jour germain, j'ai lu sur un forum de discussion :
    "comme dirais, je sais plus qui,
    "A la loterie de la vie, j'ai tiré le mauvais numéro sans même avoir pris mon billet." "
    Quand on reprend les même mots sans connaître son auteur,
    c'est que ce dernier est entré dans le subconscient collectif.

    GERMAIN:
    N'exagérez pas ! Les forums ne sont pas la vox populi. Les forums ne représentent pas les Français, ni par leur nombre, ni par la qualité de ceux qui s'y expriment. Les forums n'ont donc pas valeur de sondage. Il me semble bien que seuls les innocentistes reprennent cette phrase de Ranucci. Certainement pas les autres. J'ajouterai que, si vous remettez cette phrase dans son contexte, à savoir une lettre écrite à sa mère, vous comprendrez qu'elle a un caractère d'aveu implicite de ce qui s'est passé le 3 juin 1974. En effet, cette phrase continue par:
    "Il aurait suffi d'un caillou et tout cela n'aurait pas eu lieu...."
  • GERMAIN
    • 2. GERMAIN Le 29/10/2014
    Desmond:
    "La citation de christian Ranucci est passée à la postérité :
    "A la loterie de la vie, j'ai tiré le mauvais numéro sans même avoir pris mon billet."

    GERMAIN:
    Voilà encore une de vos nombreuses erreurs, une extrapolation.
    Comment pouvez-vous écrire cela ?
    Ranucci écrit cela dans une lettre à sa mère et dans son récapitulatif.
    Savez-vous combien de personnes ont lu et cette lettre et ce récapitulatif ?
    Pas grand monde. En tous les cas, pas assez pour que vous puissiez écrire "à la postérité" !
    • desmond
      • desmondLe 30/10/2014
      un jour germain, j'ai lu sur un forum de discussion : "comme dirais, je sais plus qui, "A la loterie de la vie, j'ai tiré le mauvais numéro sans même avoir pris mon billet." " Quand on reprend les même mots sans connaître son auteur, c'est que ce dernier est entré dans le subconscient collectif.
  • GERMAIN
    • 3. GERMAIN Le 19/10/2014
    Desmond écrit:
    "L'accusé n'a même pas encore parlé, ses avocats non plus: coupable d'office !C'est une trentaine d'années plus tard que le juré livrera cette confidence face caméra. Il ne trahit même pas le secret de la délibération puisque son avis était déjà fait avant."
    Il était facile de trahir le secret de la délibération puisque Ranucci a été déclaré coupable à l'unanimité, ce qui signifie que tous les jurés ont répondu oui à la question concernant la culpabilité. En revanche, la réponse à la question sur les circonstances atténuantes fut non, mais à la majorité d'au moins huit voix, ce qui signifie que nous ne connaissons pas et ne connaîtrons jamais les jurés qui ont été indulgents. Même Mme Donandini, la seule femme jurée est restée muette sur ce point, concernant sa propre attitude, ce qui est la loi. Mais nous sommes sûrs qu'elle a déclaré Ranucci coupable !

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