le 1er juge d'instruction

qu'est devenue la juge d'instruction ?

La recluse 01"Je m'en lave les mains"

aurait dit Ponce Pilate après
la condamnation de Jésus.
 
La juge qui instruisit l'affaire Ranucci avait un tempérament de gladiateur et une voix de stantor. Mais eut-elle la désinvolture du tribun romain à l'annonce de l'exécution ?
Avec elle, la tragédie n'a jamais aussi bien porté son nom.

 
 


La recluse 02silences
 

Au début de l'affaire, un journal propose de  ne  pas perdre de temps avec le procès Ranucci.
Mieux vaut pour ce quotidien passer directement à l'exécution.
 Le choix du juge d'instruction a dans ce cas de quoi satisfaire.
 Pour ce qui est du temps, celle à qui est confié le travail n'en perd pas.
 
Le dossier est expédié à une vitesse record. A l'image de la reconstitution de l'enlèvement. Le déplacement se limite à un simple passage en camionnette près des lieux, sans même en descendre.
 
Les partisans, nombreux à Marseille, d'une justice expéditive, ont presque trouvé leur héroïne. Elle au moins fait mentir l'adage qui associe lenteur et procédure pénale.
 
Mais bizarrement, après l'exécution, ces gens "pressés" ne se bousculent pas pour aller crier victoire. Et quand la polémique sur une possible erreur judiciaire commence, la presse se montre prudente. Elle préfère laisser la parole aux personnages incriminés par cette controverse.
D'autres voix discordantes s'élèvent, et ne tarderont pas à montrer du doigt "l'héroïne".
 
 

La recluse 03silence, on tourne !
 
 
Protégée comme un secret d'instruction par son devoir de réserve, mademoiselle la juge n'a nullement à se justifier.
Seuls parlent d'elle les policiers présents aux entrevues d’instruction. Ils ne manquent pas de louer "son énergie". Mais cette vitalité est dépeinte avec une admiration plus qu'ambigüe.
 

La recluse 03bisConsécration embarrassante, le film qui la met en scène en 1978, présente cette "énergie" sous un jour bien peu flatteur.

Claire Deluca, comédienne de théâtre, met tout son talent au service du scénario pour jouer une personnalité aux accents hystériques.

 

La recluse 03terC'est exactement comme pour anna Wintour. Ce personnage est incontournable dans la jet set. Mais c'est une parfaite inconnue pour le grand public. Jusqu'au jour où elle accède à une célébrité mondiale peu enviable.

Meryl Streep l'incarne comme "tyran de la mode" dans "le diable s'habille en Prada".

 

Des paroles ou des images ne sont jamais qu’une approche forcément caricaturale. Ce qu'est véritablement un individu, est nécessairement plus complexe. Mais l'idée que l'on peut s'en faire est de la teneur des informations accordées au grand public.

 

Le livre "le pull-over rouge" a été le coup de poignard. Le film qui en est tiré est le coup de grâce pour la magistrate.

 

 

 

La recluse 04réputation

 

Etre convaincu d’avoir fait son travail « comme il faut » doit suffire à s’assurer une quiétude morale.

 

La recluse 05Mais quand le cinéma s’en mêle, l'extrapolation sur grand écran du déroulement des faits peut être vécue comme un outrage.

Dès lors, l’auto-satisfaction ne suffit plus. Quiconque estime n’avoir rien à se reprocher, se sent transpercé par un sentiment d’injustice.

L'indignation est doublée : voir son travail décrédité et sa personnalité diffamée. 

 

La critique devient peut-être moins pesante si l'on reconnait que l'instruction était un peu légère. On n'a peut-être pas fait « tout ce qu’il faut ».

Mais il est plus tentant et facile de rejeter la faute sur d’autres. Car bien sûr, « la surcharge de travail limite à chaque fois le temps que l’on peut consacrer à chaque dossier ».

Dans ce cas, la tourmente intérieure se calmera d'elle-même à la fin de la tempête médiatique. Les journalistes sont eux aussi "surbookés". Ils passeront à une autre affaire. Et on se fera oublier.

 

Pour autant, rien n'empêche la conscience morale de se réveiller et prendre le relais. Et elle agit de manière bien plus insidieuse et durable. Car si l’on commence à reconnaître que la justice est matériellement obligée de laisser des failles, elle est logiquement d'autant plus ... faillible !

 

 

 

La recluse 06à l'abri des regards

 

Le dilemme procure-t-il des troubles du sommeil à mademoiselle la juge ?

Elle ne l'a jamais confié publiquement.

Pas plus qu'on ne saura si la polémique sur la culpabilité du supplicié ébranle ses convictions.

Mais comment notre juge assume-t-elle de jour cette notoriété pesante ?

Il faut bien croiser dans le palais de justice le regard soupçonneux de ces étudiants en droit qui très vite se passionnent pour l’affaire. Sans parler des badauds qui ont lu le bouquin ou vu le film, et qui sont curieux de savoir « à quoi elle ressemble la vraie ! ».

 

La recluse 07Mais hélas pour ces voyeurs, cela fait déjà longtemps, avant même la fin de l’instruction, que "la vraie" travaille cachée. Elle siège à la cour de cassation.

 

Voilà qui règle par avance le problème. Les audiences de cette cour sont par principe interdites au public.

 

 

 

sLa recluse 08olidarité

 

Notre juge - de cassation - c'est son nouveau titre, peut-elle compter sur le soutien de ses pairs ?

La magistrature n'est pas vraiment un milieu réputé par son sens de la solidarité. Chacun mène sa petite affaire, ou plutôt ses affaires, sans chercher à se soucier des déboires des autres.

 

C’était vrai en 1974, ça l’est toujours aujourd’hui. L'ancien juge antiterroriste marc Trévidic en en sait quelque chose. On ne s’émeut guère au parquet de sa nomination à un poste subalterne. Et le voir chaque jour traiter des cas de divorce doit alimenter les sarcasmes de quelques médiocres.

 

Mais tout magistrat est avant tout un acteur. Et comme dans le show-biz, on se fait des grands sourires, des accolades. En coulisse, on est constamment en concurrence pour les meilleurs rôles - pardon - pour les affaires les plus intéressantes.

Encore un avantage pour notre juge. Car à la cour de cassation on ne viendra pas lui jalouser ses dossiers.

 

Mais que peut-elle penser de l'attitude de ses collègues qui viennent la voir ?

Comment interpréter leurs silences, leurs regards. Ce petit sourire pincé dans lequel on ne voudrait voir que de la gêne. De toute façon, vu le caractère volcanique qui a fait sa réputation, la politesse comme la prudence invitent à feindre d’ignorer la polémique qui fait sa nouvelle renommée.

 

Et que répondre à celui qui osera faire part du courroux que lui inspire la calomnie dont elle serait la victime ? Jouer la comédie de l'indigné n'est pas le seul privilège des avocats.

Ce numéro grotesque pourrait bien être une manière subtile de se payer sa tête. Avec une gestuelle et une grandiloquence trop vue et revue dans les salles d’audience pour pouvoir être un acte de bienveillance totalement sincère. Avant que l'impudent n'aille refaire sa pitrerie, geste et bons mots compris, devant les confrères qui se gaussent.

 

Le pire serait que l'un d'entre eux, porté par la surenchère, ait le toupet de venir voir notre juge de cassation pour lui lancer sur un ton badin :

" Bonjour Ilda ! Quoi de neuf ? Tu n'es pas allée au cinéma dernièrement ... pour te changer les idées ?" 

 

Pour se changer les idées …à défaut de changer ses idées.

 

 

 

La recluse 09  danger

 

En cette fin des années 1970, l'activisme politique marque le pas. Mais ce qu'il perd en influence, il le gagne en violence.

Mademoiselle la juge ne le sait que trop : la vie de ses confrères italiens est directement menacée.

 

Elle n'a guère a se sentir visée par une quelconque action terroriste. Quand bien même la région qu'elle habite reste une base de repli potentielle pour les membres des brigades rouges ou de la prima linea.

Mais elle a de quoi redouter l'action d'un quelconque exalté voulant réaliser son coup d'éclat. Le slogan "policiers assassins, justice complice" commence à dater et ne fait plus recette. Mais aux yeux de certains, elle est le personnage parfait pour donner à l'adage une nouvelle actualité. 

 

La recluse 101977 voit l'assassinat de jean-antoine Tramoni. Cet ancien vigile des usines Renault avait été déclaré coupable de la mort d'un syndicaliste 5 ans auparavant.

 

La vengeance est revendiquée par les mystérieux NAPAP (Noyaux Armés Pour l'Autonomie Populaire). Ils veulent accomplir leur propre justice.

La libération conditionnelle de l'ancien vigile au bout de 4 ans leur paraissait intolérable. Surtout que la légitime défense n'avait pas été retenue. 

 

" Ouf ! " peut se dire mademoiselle la juge. « Une chance que ce n’est pas un héros révolutionnaire que j’ai envoyé à l’échafaud ".

Et de se rasséréner par : " un simple représentant de commerce,  avec pour seul idéal d’avoir sa Mercédès avant 30 ans ! »

 

 

 

La recluse 11dérobade

 

Mademoiselle la juge n'officie plus que dans une cour où ne pénètrent que les personnes accréditées.

Mais en montant les marches du palais de justice, le danger le guette.

Elle n'est pas à l'abri d'un "héros du peuple" embusqué derrière une colonne comme l'étaient les conspirateurs du sénat romain attendant César. Le pourfendeur de la "justice bourgeoise" n'aurait qu'à dévaler les marches et la bousculer au cri de "Ranucci est vengé !"

 

Fort heureusement, comme au théâtre, les magistrats ont leur entrée des artistes. Et si passer par le greffe ne garantit pas une discrétion suffisante, les palais de justice ont le secret de ces portes et couloirs dérobés qui assurent une circulation à l'abri des regards.

Ces passages sont bien pratiques pour les personnalités qui souhaitent éviter la meute des journalistes qui les attendent devant le tribunal. Les magistrats sont dans la confidence de ces passages réservés. Mademoiselle la juge a certainement dû les repérer.

 

Mais très franchement, finir sa carrière en empruntant le même chemin que l'on réserve aux malfrats et aux politicards corrompus, n'est-ce pas pitoyable ?

 

 

 

La recluse 12recluse

 

Mademoiselle la juge d'instruction finit sa vie doublement recluse.

Les murs de la cour de cassation deviennent l’horizon indépassable de ses ambitions professionnelles.

Mais à cet isolement physique, s’ajoute une réclusion mentale. Telle une none cloîtrée ayant fait vœux de silence, notre juge doit se taire face à la calomnie et les réprobations.

 

Les retraites spirituelles visent en général à gagner en sérénité intérieure. Mais dans notre cas, c’est tout l’inverse. Cet esprit taciturne ne laissait pas placer un mot à christian Ranucci aux entretiens d’instruction. Et elle lui hurlait dessus aux reconstitutions.

Elle doit maintenant se taire face à l’adversité. Une vraie torture pour celle qui en intégrant la magistrature n’aurait jamais imaginé l'inconfortable point d’orgue de sa carrière : inspirer un rôle de « méchante » au cinéma.

 

Torture insupportable donc, à moins qu’un miracle lui fasse accepter son sort. Et même envisager l’erreur judiciaire. Ce serait alors tomber de charybde en Scylla. Car le questionnement intérieur serait intolérable et perpétuel.

 

 

 

La recluse 13  frénésie

 

Notre juge partie à la cour de cassation, c’est un débutant  de 29 ans qui est chargé d'entériner l'instruction.

Mais le travail du "nouveau" comprend une clause supplémentaire qu'il a probablement sous-estimée. En cas d'exécution, il lui faudra faire le déplacement. Et de l'avis de tous ceux qui voient le jeune juge à la prison des Baumettes le 28 juillet 1976 : il est tétanisé.

 

Passé l'émotion, reste le droit de penser à soi-même et à sa carrière. Celle-ci commence plutôt mal pour le successeur de Melle Di Marino avec ce dossier qu'il s'est empressé de boucler. Dossier qui se retrouve décortiqué avec soin dans un livre à gros tirage laissant pointer le spectre de l'erreur judiciaire.

 

Aujourd'hui, tout évènement est relaté sur internet. Et il est difficile d'effacer son nom quand il est associé à une affaire embarrassante. Mais une parade, parait-il efficace, consiste à multiplier les référencements à des sites qui présentent votre action sous un jour plus favorable. A défaut de faire disparaître l'information gênante, elle se trouve diluée dans le flot de liens bienveillants.

 

Les années 70 n'étaient pas encore "connectées", mais le jeune juge que la presse dénomme "le justicier" multiplie les effets d'annonce et les coups d'éclat. Le but n'est pas forcément de reléguer un souvenir encombrant. Mais force est de constater qu'il réussit pleinement à éclipser l'épisode gênant. Et même au-delà !

 

La preuve en est que le cinéma finira par lui forger la stature d'un héros. Un vrai. Pas un rôle de méchant comme mademoiselle Di marino.

 

Mais cette reconnaissance n'est que posthume. Car notre juge paie son zèle professionnel de sa vie.

 

 

 

La recluse 14  conclusion

 

Pour une même expérience vécue, on assiste à deux trajectoires opposées.

Deux juges sont successivement mandatés pour traiter l'instruction du procès Ranucci. Par la suite, la 1ère se cache, le 2nd se surexpose.

 

La 1ère a droit de son vivant à un portrait au vitriol concocté par le 7e art. Le 2nd décède sans savoir que le cinéma fera de lui un héros, tout en cachant soigneusement sa part d'ombre.

 

Laissons parler le philosophe michel Onfrey,  pour illustrer ce genre de situation :

"Nous vivons dans la fable d’un monde créé par les médias. Le réel n’ayant pas eu lieu, la fiction le remplace."

 

Le procès de christian Ranucci fut un théâtre. Le cinéma prit le relais, pour le meilleur comme pour le pire.

 

 

 

 

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