les psychiatres

les aveux de christian Ranucci

sont balayés 15 jours pour tard

une seule phrase suffit

une phrase prononcée par des experts

assermentés auprès de la justice

 le 1^er entretien

Au lendemain de ses aveux, christian Ranucci est confronté à un psychiatre.

L’entretien est d’importance. Il s'agit de réentendre ses déclarations. L'audition cherche à vérifier qu'elles n’ont pas été extorquées de façon abusive.

Pour s’assurer que le récit qu’il a signé est véridique, une seule solution : recueillir des éléments si possibles inédits.

Et le psychiatre en trouve …

  les inédits

Lors du 1^er entretien en prison du 7 juin 1974, christian Ranucci fournit au psychiatre deux éléments nouveaux.

Il s'agit de deux détails qu’il n’avait pas révélés au cours de son interrogatoire avec les policiers la veille :

1 – le couteau cran d’arrêt était en sa possession depuis 1 an

2 – il a donné un bonbon à la petite fille quand elle lui a demandé de la ramener chez elle

Pour ce qui est du 1^er élément, mis à part savoir s’il est encore sous garantie, on se demande ce que l’information sur le couteau apporte à l’enquête.

En revanche, l’anecdote du bonbon est bien plus utile …

le sachet

 Si christian Ranucci a offert un bonbon à la petite fille, une question s’impose.

Ce paquet de friandises, où est-il passé ?

Ce détail est essentiel. Les prédateurs d’enfants usent souvent de sucreries pour appâter leurs victimes. Si l’on retrouve cet élément dans son véhicule, à défaut de signature du crime, ce serait un indice crucial.

L’information tombe bien car la Peugeot 304 est passée au peigne fin par les enquêteurs.

Et que trouve-t-on ?
 

l’inventaire

Quand on parle de voiture « passée au peigne fin », on ne croit pas si bien dire. En effet, les experts chargés de cette investigation recueillent 2 cheveux. Autant reconnaître que le travail est méticuleux.

En revanche, nulle friandise de trouvée. Pas même un emballage de bonbon coincé sous un siège.

Qu’a pu fait le propriétaire du véhicule du sac de confiseries ?

A condition que ce paquet existe bien sûr.

explication

Comment se fait-il que l’on ne retrouve pas de bonbons ni même leur emballage dans la Peugeot 304 ?

Il n’est guère difficile d’y trouver une explication. On peut même au moins en trouver 3.

La chose est d’importance pour la crédibilité de l’enquête. En tout cas nettement plus que le scoubidou retrouvé dans le coffre. Objet que certains ont interprété comme « un fouet ».

Examinons les 3 explications possibles à l'absence des bonbons :  tri,  coup de ménage, ou paquet fini.

1^ère hypothèse

Si christian Ranucci est véritablement un prédateur d’enfants, on comprend qu’il se soit débarrassé des bonbons.

C’est un indice bien trop compromettant.

Mais tant qu’à mettre de l'ordre dans sa voiture, et dans sa moralité par la même occasion, n’aurait-il pas fait un oubli de taille ?

Les enquêteurs découvrent dans le véhicule une seringue et des médicaments. Du matériel médical, qui plus est chapardé à la caserne de son régiment.

Par jeu, par bravade, justifie-t-il. Dans ce cas il avait tout intérêt à les faire disparaître. Au moins autant que les bonbons, voir plus.

L’hypothèse des bonbons jetés pour ne pas laisser de trace n’est visiblement pas valable.

2^nde hypothèse

Imaginons maintenant que christian Ranucci, jeune homme plutôt soigné, a tout simplement fait le ménage.

Un coup de propreté pour sa voiture qu’il affectionne tant.

Il aurait jeté ce paquet de bonbon. Mais dans ce cas, pourquoi avoir gardé le paquet de biscuit retrouvé sur la plage arrière ?

Ces gâteaux secs sont de la marque qu’il n’aime pas. Et pour la bonne raison qu'il a passé une partie de son enfance près de l'usine qui les produisait. L’odeur qui se dégageait était pour lui écœurante, le dégoutant à jamais de cette marque de biscuits.

Alors pourquoi avoir gardé le paquet de gâteaux secs, et pas les bonbons s’il y en avait ?

La présence du paquet de biscuit restera d’ailleurs un des « petit mystère » de l’affaire. Mais une chose semble claire : si des bonbons étaient présents dans cette voiture, ils n’ont pas disparu dans une opération de propreté du véhicule.

3^e hypothèse

« Mon fils aime les desserts ».

Cette banalité lâchée aux journalistes par Mme Mathon dans ses descriptions de christian nous apprend au moins une chose : il aime le sucré.

Au point de manger des bonbons ? A son âge, il est passé des sucreries aux cigarettes blondes, de préférence anglaises.

Personne ne peut donc dire si christian Ranucci mange des bonbons en conduisant. S'il en avait un sachet, il aurait très bien pu avoir été fini avant l'arrestation.

Vraiment personne ne peut nous renseigner ?

Si. Une personne : jean-marc Ivars.

Il s’agit de son collègue de travail. Celui-ci l’accompagne dans ses déplacements en voiture pour démarcher les climatiseurs. Il aurait pu se voir proposer des bonbons par le conducteur et s’en souvenir.

Un point probablement trop secondaire pour que l’enquête soit menée jusque-là. Mais si au moins elle avait pu être plus rigoureuse pour des aspects plus essentiels …

prétexte

Finalement, ce bonbon qui aurait été offert à la petite fille pouvait trainer sur le tableau de bord.

Ou peut-être était-ce le dernier du paquet.

Ou encore, christian Ranucci finit de tous les manger dans les 2 jours qui suivent l’accident.

Mais au final, cet indice n’apporte rien au débat.

Vraiment rien ? Sauf à penser que l’expertise psychiatrique ne peut aboutir qu’à une seule conclusion honnête : ils leurs est impossible d’authentifier la sincérité des aveux. Ces experts n'ont pas réussi à extraire de leurs discussions avec l'inculpé le moindre élément nouveau qui soit vérifiable matériellement.

Le désormais inculpé est au lendemain de son exténuante garde à vue. Si l’évocation de bonbons, attirail traditionnel des agresseurs d’enfants ne lui a pas été suggérée, il a très bien pu sortir cette banalité pour qu’on le laisse en paix. Dans les aveux qu'on lui a fait signer il affirme que la petite "avait faim et qu'elle voulait rentrer chez elle". Alors le bonbon offert, ça tombe sous le sens.

lacune

Le bonbon révélé par les psychiatres est l’équivalent du pull-over rouge pour les policiers.

Au départ, comme pour le pull, ce nouvel indice est doublement intéressant :

1 – c’est un élément inédit (le seul d’ailleurs) par rapport aux aveux

2 – il complète la panoplie de l’agresseur d’enfant

Sauf que la fouille rigoureuse de la voiture ne permet nullement d’assoir de façon matérielle l’existence de ce bonbon. Donc, comme pour le pull-over rouge, on l’oublie.

D’ailleurs, les entretiens psychiatriques 15 jours plus tard ne reviennent pas sur ce détail.

En revanche, une nouvelle approche des médecins conduit à un retournement complet …

objection

« Monsieur Ranucci,  nous ne vous demandons pas de répondre selon la version officielle, mais en conformité avec ce qui s’est passé. »

La reconstitution judiciaire, si on peut l’appeler comme cela, vient d’avoir lieu. Et christian Ranucci est de nouveau convoqué devant les psychiatres. Ceux-ci s’exaspèrent de la voir reprendre les éléments des aveux comme une leçon misérablement apprise.

Le 1^er entretien du 7 juin, comme vu précédemment, n’a fourni aucun élément nouveau qui soit exploitable. Et 15 jours plus tard rien n’a changé. Pas le moindre détail supplémentaire qui serait susceptible de corroborer les propos qu’on lui a fait signer.

Christian Ranucci n’a que sa mère pour croire à son innocence. Cette fois, il s’est enfin trouvé des alliés qui veulent s’en tenir à des données objectives. Mais en est-il vraiment conscient ? Et surtout, sera-t-il à la hauteur de leur aide …

convivialité

« Christian Ranucci était sympathique. Il me parlait de sa voiture qui marchait mieux que les autres.

De ses projets d’amérique du sud, ou de la tête de certains gardiens, ce qui nous faisait bien rire. »

Ainsi le décrit maître Le Forsonney. Mais si l’avocat le trouve amical, il laisse une toute autre impression aux psychiatres. Ces derniers l’estiment bien peu coopératif, «  feignant de ne pas comprendre les questions pour gagner du temps », quand il ne fournit pas « des réponses laconiques et conventionnelles ».

Evidemment, les experts le titillent pour chercher à en savoir plus. Et ils ont bien raison, car c’est leur travail. Mais christian Ranucci qui a une impression de déjà-vu après la garde à vue cherche surtout à écourter les séances.

Arrive le moment pour les experts de tirer leurs conclusions :

- soit le sujet est un fieffé menteur

- soit ses propos ne parviennent pas à confirmer les aveux

Christian Ranucci a au moins appris une chose après 18 heures de garde à vue : être prudent dans ses réponses. Mais les psychiatres interprètent d'une toute manière cette attitude. Pour eux, il agit par méfiance. Ses réticences ne cherchent qu'à donner le change.

Et s'il "montre de l'embarras" face à certaines questions, cela suffit à sceller l'accusation de supercherie.

( Faudrait-il avoir réponse à tout pour être déclaré innocent ? )

Comme un couperet, le diagnostic tombe. « amnésie simulée », signent les médecins.

La chance est encore passée à côté de christian Ranucci.

le lien

Sans mettre en doute la perspicacité des policiers, on attend des psychiatriques une exploitation d’un discernement sans faille des propos de christian Ranucci.

Une demi-heure sépare le moment du rapt et l'épisode de l’accident au carrefour de la Pomme. Si durant cette moitié d’heure, le suspect était comme on le prétend avec la future victime, que se sont-ils dits ?

Gilles Perrault pose la question dans « le pull-over rouge ». A l’évidence, les psychiatres n’obtiennent pas la réponse.

Pourtant, il suffirait de soutirer à christian Ranucci le nom de la poupée de la petite fille, ou comment s’appelle le fanfaron de sa classe, et c’est gagné. Les psychiatres parviendraient alors à ce que les policiers n’ont jamais réussi à recueillir : la preuve que l’inculpé a bien été en contact avec la victime.

Mais il est possible que ce type d’investigation soit boudé par les psychiatres. Le Procédé est trop basique et le questionnement bien trop élémentaire. Des gens qui ont fait 7 ans d'étude peuvent rechigner à utiliser une méthode qui ne relève que du bon sens.

prise de conscience

Christian Ranucci aurait-il rencontré les psychiatres pour rien ?

Ce sont tout de même ces derniers qui lui signalent clairement que le discours qu’il tient n’est pas le sien. Déjà, la reconstitution lui a fait prendre conscience de la cruauté des actes qui lui sont incriminés.

C’est à partir de là, et du contact avec les psychiatres, que mûrit une idée nouvelle dans son esprit. Elle trouve son aboutissement le 27 décembre 1974. Ce jour-là, il se trouve dans le bureau de la juge d’instruction.

Il en faut du courage, face à femme taciturne, pour dire avec détermination :

« Au début, j’ai cru moi-même que ma culpabilité était possible. Aujourd’hui, je pense le contraire. »

rétractation

Les détracteurs de christian Ranucci ont beau jeu de dire qu’il lui en a fallu du temps pour se déclarer innocent.

Mais 6 mois, c’est bien ce qu’il faut pour une initiative relevant plus du fatalisme que d’un esprit affirmé.

Car c’est paradoxalement moins sa volonté que ses incapacités qui peuvent le conduisent à remettre en cause sa culpabilité :

1 – à la reconstitution il est incapable de poignarder une poupée avec un coin en bois

2 - aux entretiens psychiatriques on ne parvient pas à lui soutirer le moindre élément corroborant ses aveux

Alors, face à la cour, le jour de son procès, il prend de l’assurance. Beaucoup trop même. Ce trop plein de confiance lui est fatal.

conclusion

En matière d’enquête criminelle, la reconstitution comme les entretiens psychiatriques de l’affaire Ranucci ont été fructueux.

Mais hélas seulement pour l’accusé.

Ces étapes ont permis à christian Ranucci de prendre pleinement conscience de la situation à travers cette formule si juste qu’il rédige en prison :

« La chose fut arrangée un peu comme on enfoncerait un coin de bois dans une fente trop étroite. »

Et face aux incohérences qui font jour dans ce qu’on lui a fait signer, il rajoute avec d’autant plus de justesse :

« …et les éclats de bois furent camouflés »

D’autres bois, nommé laconiquement « bois de justice », auront hélas raison de sa clairvoyance.