les pull-overs rouges

les pull-overs rouges

 

Larron 2Christian Ranucci avait un alibi : un copain d’armée habitait à côté du lieu du rapt.

Fausse excuse ou réalité ?

Publié il y a 10 ans, un témoignage inédit permet de répondre de manière définitive.

 

 

Larron 3les copains d’abord

 

On a longtemps cru que maurice Benvenuti était le seul copain d’armée de christian Ranucci.

Mais il y a aussi le barman de la garnison de Wittlich. Christian Ranucci lui fait cadeau de sa fourragère le jour de la quille. Encore la preuve qu’il n’était pas un asocial, et encore moins un égoïste.

Jamais 2 sans 3, une autre relation se signale dans la presse en 2013.

Disons-le d’emblée : alain Rabineau a beau être contre la peine de mort, il n’en considère pas moins christian Ranucci comme coupable. Il pense même qu’il avait un problème mental.

Son témoignage n’en devient que doublement plus intéressant. Car on ne l’accusera pas de vouloir dresser un portrait flatteur de son ancien copain de chambrée. Pas plus que de chercher à régler des comptes avec une justice qu’il estime avoir été inéquitable envers lui-même.

 

 

Larron 4souvenirs

 

Le 9 mars 1976, alain Rabineau est à Marseille, tandis que christian Ranucci est à Aix-en-Provence, pour son procès.

L’accusé dans son box s’emporte : « Ces types dont vous me parlez, je les ai à peine connus ! »

Telle est sa réaction aux témoignages qui lui sont lus. Ils ont été recueillis auprès d’appelés de son régiment. Mais alain Rabineau, entre autre, ne figure pas dans la liste.

Pourtant lui a réellement côtoyé l’accusé.  Pour cause : ils étaient du même contingent. Ils étaient « contige » comme on disait, et ils ont donc fait le service ensemble de bout en bout.

Pour être sur la liste des témoignages, il fallait, un an et demi auparavant, aller se signaler auprès des enquêteurs. Ce n’est pas l’envie qui  manque à alain Rabineau, depuis qu’il a lu l’annonce dans « Nice matin » en fin d’année 1974. Un appel est lancé à tous ceux qui ont connu l’inculpé et pourraient apporter des informations.

Le problème est qu’il faut franchir la porte d’un commissariat. Or il y est déjà connu. Et même « défavorablement connu » comme on dit.

Lui « grillé » ? Qu’à cela ne tienne ! Pas découragé pour autant, il se trouve un remplaçant : daniel R. Ancien copain d’armée et niçois tout comme lui. Voilà qui ferait un témoin de moralité plus négociable, car beaucoup moins « frondeur ». Moins fripon certes, mais malheureusement pas suffisamment rebelle !

Si le copain accepte dans un 1er temps d’aller témoigner, il finit par se raviser. Raison invoquée : sa mère n’est pas d’accord ! (sic)

Pourtant … quand on sort de l’armée, on est un homme !

Encore une occasion loupée pour christian Ranucci qui ne reçoit guère de soutien, hormis celui de sa mère.

Alain Rabineau se décide finalement à fournir des déclarations. Mais il attendra presque 40 ans, comme pour une durée de prescription.

 

 

Larron 5le colis

 

Alain Rabineau décrit un christian Ranucci « timide et solitaire », qui n’avait pas de copine (en réalité plus à ce moment-là).

Détail surprenant, il raconte que celui-ci reçoit à la garnison de Wittlich un colis de sa mère. Tel un prisonnier de Stalag, elle a peur qu’il prenne froid en Allemagne. Alain Rabineau voit sous ses yeux christian Ranucci ouvrir le paquet pour en extraire un pull-over … rouge ! C’est sa mère qui l’a tricoté. Il le portera à l’occasion de sorties de la garnison.

Est-ce le pull retrouvé à la champignonnière ?

Alain Rabineau pourrait éventuellement le reconnaître. L’avenir lui fournira l’occasion de le faire savoir, 30 ans plus tard.

 

 

Larron 6le restau

 

Christian Ranucci portait-il ce pull pour une sortie dans un restaurant de Wittlich ?

Alain Rabineau qui est des convives a un souvenir plus marquant de cette soirée.

On imagine que des bidasses au pays de la fête de la bière ne soignent pas la nostalgie du pays à la Vittel ou la Vichy. Surtout avec un christian Ranucci qui quelques mois plus tard, au matin du 3 juin 1974, démarre sa journée en avalant deux whisky.

Pour l’instant, en milieu de repas dans ce restaurant de Wittlich, il se lève pour aller aux toilettes. Arrivés au dessert, les convives ne le voient toujours pas revenir.

Ils toquent à la porte des cabinets, rien à faire. C’est le patron de l’auberge qui ouvre la porte, découvrant un Ranucci l’air hagard et le sourire béat.

La situation évoque ce qui lui arrivera le 3 juin 1974. Coincé au fond de la champignonnière, il s’endort dans sa voiture. Il faut croire qu’il a le sommeil facile.

Le lendemain à la caserne il y a matière à charrier : « Complètement bourré au restau hier soir le caporal Ranucci. Il s’est endormi sur les chiottes. »

Pour l’instant l’histoire a seulement de quoi faire sourire. Mais d’autres utiliseront l’anecdote pour contrer la polémique sur l’erreur judiciaire.

 

 

Larron 7la quille

 

En mai 1974, christan Ranucci quitte définitivement Wittlich et retourne vivre à Nice.

Pour qui n’a pas fait son « sapin » comme on disait à l’époque, qu’ils sachent que le service militaire c’est un peu comme « loft story ».

A l’image de la cohabitation dans une émission de téléréalité, les liens que tissent les individus entre eux semblent très forts. De quoi faire croire à certains « qu’on est copains pour la vie ». Mais après, chacun repart de son côté, et la plupart du temps on oublie très vite.

Christian Ranucci, le prétendu solitaire, n’est pas un « lâcheur ». Il vient rendre visite à alain Rabineau, niçois tout comme lui. De là découle la proposition de descendre ensemble sur Marseille, où ils pourront retrouver maurice Benvenuti, et reformer la fine équipe.

Malheureusement, le « continge » décline, prétextant des obligations professionnelles. Christian Ranucci le prend mal, s’énerve et repart fâché.

Colérique ? Intuitif certainement. Il a senti que ce n’est qu’un faux prétexte.

D’ailleurs aujourd’hui alain Rabineau reconnait avoir menti. En réalité, il ne voulait pas louper sa partie de poker.

Tant pis pour Christian Ranucci. Il part donc seul à Marseille pour tenter de revoir maurice Benvenuti au week-end de pentecôte.

Sans s’en rendre compte, il laisse derrière lui le copain qui pourrait l’aider à se dédouaner des accusations à venir.

Finalement, christian Ranucci et alain Rabineau se retrouveront tous les deux à Marseille plus tard. Mais dans des conditions très spéciales, et indépendantes pour chacun de leur volonté, comme on va le comprendre immédiatement. 

 

 

Larron 8le contact

 

La suite on la connait. Arrestation, interrogatoire, mandat de dépôt et incarcération aux Baumettes ...

... pour alain  Rabineau !

Respectons son souhait d’en taire les raisons. Ce qui nous intéresse, c’est qu’au moment de son incarcération, il réussit à rentrer en contact avec christian Ranucci. De « continge » ils sont passés à co-détenus.

Alain Rabineau culpabilise un peu. Croyant son ami coupable, et même encore aujourd’hui, il se dit que s’il avait accepté de l’accompagner pour le week-end à Marseille « christian n’aurait pas déconné ».

Au final, alain Rabineau raconte parvenir à le voir dans sa cellule de condamné à mort. Mais, interdiction de lui adresser la parole.

Il lui remet de la lecture. S’agit-il de « Sciences & vie », que l’on retrouvera dans le colis qui sera envoyé à sa mère ? Parions que le futur chauffeur offre plutôt la revue « l’automobile » à celui qui rêve d’une Mercedes blanche.

 

 

Larron 9isolement

 

Christian Ranucci n’a que deux liens avec l’extérieur : sa mère et son avocat.

Un homme désespérément seul, qui n’a pas de contacts quotidiens avec les autres détenus. Alors forcément, recevoir des magazines de la part d'un copain emprisonné dans les mêmes murs, ça remonte sacrément le moral.

Quand alain Rabineau demande de ses nouvelles dans les couloirs des Baumettes, on lui répond qu’il passe de bonnes nuits et dort très bien. Il faut que dire que pour maître Le Forsonney son avocat : « il était persuadé qu’il serait gracié ».

Après la dispute à Nice, Christan Ranucci et alain Rabineau sont réconciliés aux Baumettes. C’est certes un réconfort dérisoire dans la situation présente. Mais ça peut être le signe que tout peut finir par s’arranger. Illusion hélas trompeuse.

 

 

Larron 09dilemme

 

Fallait-il en mars 1976 extraire alain Rabineau de sa cellule pour valider l’alibi au procès ?

On imagine combien l’impact aurait été désastreux. Il suffit de repenser à madame Matthéï, témoin à décharge ridiculisé par maître Collard, avocat de la partie civile. Le seul tort de cette femme est d’avoir un fils incarcéré aux Baumettes.

Avec alain Rabineau en surplus, ce serait offrir aux jurés l’impression que christian Ranucci recrute ses soutiens dans sa propre prison. Comme témoin de moralité, mieux vaut éviter.

 

 

Larron 16hypothèse

 

Alain Rabineau est à même de donner une explication au drame.

De quoi intéresser Maître Le Forsonney qui déplore : « Ce qui m’a toujours hanté dans cette affaire, c’est l’absence de « Pourquoi ? » »

L’avocat du condamné de compléter : « La raison du passage à l’acte n’a jamais été expliquée ».

Il est vrai que, durant la détention, les psychologues de Marseille s’évertuent à livrer un portrait guère flatteur de christian Ranucci. Conséquence logique quand l’intéressé se montre peu coopératif et répond avec dédain. Du coup, le déclic supposé conduire au meurtre est éludé.  

 

Alain Rabineau qui croit son copain coupable, a lui sa propre explication. Il le décrit comme un bon camarade. Mais ayant parfois ses moments d’absence. Comme ce qui s’est passé au restaurant de Wittlich.

Et à Marseille le 3 juin 1974 ? Alain Rabineau déduit que Christian Ranucci a eu le sentiment d’être lâché par les copains. Il imagine sa frustration de se sentir abandonné. Et il le voit jetant son dévolu sur une recherche affective fortuite. Un enchaînement fatidique qui selon lui conduit au drame.

C’est un peu court comme argument, mais c’est mieux que rien. Car pour maître Le Forsonney, il n’y a rien pour expliquer le passage à l’acte.

Alain Rabineau en est convaincu : « si j’avais été avec lui ce week-end là, ce ne serait pas arrivé».

On a vu mieux comme témoignage de moralité. Aussi valait-il mieux ne pas l'évoquer au tribunal d’Aix le 9 mars 1976.

Mais le copain d’armée pense que l’argument peut diriger les avis vers des circonstances atténuantes. C’est un choix.

A bien y réfléchir, c’est peut-être moins ambigu que la stratégie de la défense. Les avocats misent à la fois sur l’innocence et les circonstances atténuantes.

Avec « maître Rabineau avocat » - sans extinction de voix -  ça aurait peut-être mieux marché !

 

 

Larron 17incrédulité

 

Si Alain Rabineau croit christian Ranucci coupable, c’est en raison de la découverte du couteau.

Pour d’autres, tel cet employé de la champignonnière de Peypin en 1974, c'est l'enchaînement des circonstances :

 « Y’a trop de coïncidence dans cette histoire. »

 « Trop de coïncidence, donc coupable » : gilles Perrault a aussi entendu la ritournelle plus d’une fois.

Des concours de circonstances improbables ? Alors, il faut encore en rajouter un. Et il est énorme.

Cette histoire de copain d’armée qui se retrouve dans la même prison, ça fait scénario de film. Une idée de réalisateur qui a trop lu Rocambole, et qui veut faire « durer » son personnage dans le scripte.

Et pourtant tout est vrai.

Alors pourquoi refuser de reconnaître que pour tout le reste, les coïncidences, ça existe aussi !

 

 

Larron 18la mise à jour

 

En 2006 le célèbre pull est extrait du carton conservé au greffe du tribunal d’Aix-en-Provence.

Qu'en pense alain Rabineau :

est-ce le même pull qui a été vu, sorti du colis reçu à la caserne de Wittlich ?

Celui qui a maintenant pour profession chauffeur est catégorique : « Ce n’est pas le sien ». Sûr qu’avec les boutons dorés sur l’épaule, on le voit tout de suite. Mais en plus c’est un pull comme on peut en acheter dans le commerce. Tricoté à la machine. Rien à voir avec du fait main.

L’identification n’est pas un scoop. Elle ne fait que confirmer ce qui était déjà considéré comme acquis. L’essayage en 1974 à l’hôtel de Police montrait déjà que ce n’était pas à la taille du prévenu.

 

 

 

Larron 19l’autre pull

 

Si le pull de la champignonnière de Peypin n’est pas celui de christian Ranucci, dans ce cas, qu’est devenu le « pull de Wittlich » ?

La perquisition au domicile à Nice du 5 juin 1974 ne concerne apparemment que le garage pour récupérer la voiture. Mais c’est également là qu’est récupéré le pantalon avec la tache de sang. On n’a d’ailleurs jamais su s’il était dans le coffre, ou à côté dans le même local.

Retrouver en sus un pull rouge serait pourtant faire d’une pierre deux coups pour les enquêteurs :

  • on est sur la piste du satyre de Marseille
  • la maman passe pour une menteuse si elle affirme que son fils déteste le rouge

Visiblement, dans cette enquête où tout est bâclé, des expertises jusqu'à la reconstitution, on n’est même pas allé vérifier la penderie.

Ce pull n’allait pas à christian Ranucci. « Il le boudinait » précise Alain Rabineau. Il est possible que le coquet jeune homme, s’en soit débarrassé. Pas pour éliminer une pièce à conviction, auquel cas le pantalon y serait passé aussi.  Juste parce qu’il ne voulait plus le porter.

Aurait-il prétexté ne pas aimer la couleur pour ne pas vexer sa mère ? Cela expliquerait qu’elle affirme que son fils déteste le rouge.

 

En 2005, « les pull-overs rouges » restent toujours un mystère, que ce soit celui de Peypin comme celui de Wittlich.

Mais 4 ans plus tard, un expert auprès de la cour de cassation se targue en revanche d’avoir une explication concernant la seconde anecdote relatée par alain Rabineau. A savoir l'incident au restaurant de Wittlich.

 

 

Larron 20le psychologue

 

« Sans avoir absorbé de drogue ni d’alcool (sic) il a eu une vague émotionnelle telle qu’il s’est terré dans les waters 1 heure ou 2 (resic)»

Le psychologue qui l’affirme en 2009, c’est henri Giraud. Il s’exprime sur la chaine télévisée « Marseille » qui depuis a changé de nom.

Deux remarques s’imposent.

  • « sans avoir absorbé d’alcool » : celui qui peut croire ça a dû être réformé, ou échapper d’une manière ou d’une autre à ses obligations militaires.

Mais même sans passage à l’armée, imaginer que des bidasses en Allemagne vont au restau pour ne boire que l’eau, il faut être soit très naïf, soit de mauvaise foi. Ou en tout cas pas forcément très fin observateur des mœurs de ses concitoyens.

  • « 1 à 2 heures dans les toilettes » : il faudrait vraiment que le service à table fasse des concours de lenteur. Pourtant le mot « schnell » à Wittlich, ils doivent le connaître.

Quoi qu’il en soit, qu’elle rapport entre rester coincé aux cabinets et un acte de pédophilie et de violence ?

C’est là tout le talent qu’une audacieuse analyse du psychisme déploie dans un exercice de haute voltige intellectuelle. Le principe à la base est pourtant simple : on prend un élément marquant, dramatique ou juste singulier d’un individu. Puis une démonstration savante se charge d’établir un lien de cause à effet avec un tout autre événement cette fois-ci fatidique.

Pour henri Giraud, christian Rannuci assis sur la cuvette aux toilettes du restaurant est : « sorti de son émotion totalement perturbé, comme il est sorti de la vague émotionnelle qui l’a amené à tuer la petite Rambla ».

Ainsi parle un expert à la cour de cassation. Si ceux de la cour de révision sont aussi péremptoires dans leur analyse, on comprend pourquoi toutes les demandes de réexamen du dossier ont jusqu’à aujourd’hui été rejetées.

 

 

 

Larron 21conclusion

 

Alain Rabineau n’était pas l’homme providentiel qui aurait pu sauver christian Ranucci.

Mais on n’oubliera pas le geste plein d’humanité qu’il eut à la prison des Baumettes. Et on salue également sa tentative charitable de lui trouver un témoin de moralité.

C’est aussi grâce à lui qu’on découvre quel était le projet de christian Ranucci pour le week-end de pentecôte 1974. Descendre à Marseille pour faire la fête avec ses deux copains d’armée. On est loin du prédateur solitaire qui isole une fillette, tel le fauve qui choisit sa proie.

Alain Rabineau nous fait revivre un garçon qui avait juste envie de s’amuser comme tous les gars de son âge.

C’est cette image plus rassurante qui a manqué au procès. Elle aurait pu chasser de la salle d’audience « l’odeur de mort qui rode ». Une image qu’évoquera plus tard l’avocat robert Badinter.

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Commentaires

  • Ulrich
    • 1. Ulrich Le 12/11/2023
    Avant d' accuser la grenouille, dites à quoi ont servi les 2 flacons de sulfate de STRYCHNINE et d' ENTROPINE ainsi que l' ampoule d' ADRENOXYL manquant dans la caisse assez volumineuse de l' armée allemande trouvée par un béret rouge dans le coffre du coupé Peugeot 304 pendant que Christian se croyait évanoui ? Et vous saurez pourquoi une seringue militaire hypodermique usagée servant à perforer au travers d' un treillis a été retrouvée dans l' habitacle de la trois cent quatre.
    • desmond
      • desmondLe 21/12/2023
      bonjour ulrich, vous me parlez d'un para qui découvre une pharmacopée en possession de christian Ranucci. j'avoue humblement ne pas avoir tout compris.

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