2022 : les raconteurs

"racontage d'histoires" = "story telling", titre emprunté à "l'essayiste" de cet article

 

Au bout de l enquete 01Le 1er octobre 2022, « Au bout de l’enquête » sur France 2 proposait un doublé : affaire Ranucci - affaire Rembla.

Le document va de l’enlèvement de la fillette à Marseille en 1974, jusqu’à ses répercussions successives sur le frère de la victime.

Car l’émission voit un continuum qu’elle illustre par toute une galerie de témoignages.

 

 

 

Au bout de l enquete 02la mise en scène 

 

Le document proposé par France 2 est ponctué d’images de reconstitution. Pour certaines fantaisistes.

On y voit un pantalon taché de sang. Des taches réparties un peu partout sur le tissus. Mais rien à voir avec les quantités et les emplacements réels.

 

Au bout de l enquete 03Une table pour la dernière cigarette du condamné détonne également. Il semble y être posé un chargeur électrique ! Ce qui semble bien moderne pour 1976.

 

Mais avec les interviews qui se succèdent dans l’émission, on est peut-être « au bout de l’enquête », mais pas au bout des surprises.

 

 

 

Au bout de l enquete 04l’accidenté 

 

Un personnage est récurrent dans les reportages sur l’affaire Ranucci. C'est le conducteur qui a subi l’accident au carrefour de la pomme.

Sa voiture est percutée par christian Ranucci le lundi 3 juin 1974.

 

Ce qu’il y a d’extraordinaire chez ce témoin clef, c’est qu’à chacune de ses apparitions, il fait ressurgir des souvenirs inédits. Cette fois, ce n’est plus la petite fille « magique » qui défie les lois de la gravité en étant projetée vers l’arrière dans un choc latéral.

Il nous sort des propos toujours plus surprenants. Des paroles qui lui auraient été tenus sur le lieux de l’accident. Et qui émanent de ceux qui ont voulu l’aider à rattraper le fugitif : « l’inconnu est monté dans la garrigue avec une petite fille ».

Incroyable ! Car ce fait n’est évoqué qu’à la 3e déclaration du couple qui avait pris en chasse christian Ranucci. Auparavant, ils parlent seulement d'un « paquet ».

 

La petite fille « magique » est donc l’objet d’un nouveau tour de prestidigitation. Comment fait-on la transformation fillette-paquet-fillette ?

Y’a un truc !  

 

 

 

Au bout de l enquete 05l’ex commissaire

 

L’ancien commissaire divisionnaire a loupé une carrière cinématographique. Comme doublure de Fernandel dans une autre vie.

Même allure joviale et sympathique. Même accent chantant où il ne manque que les cigales du midi comme choristes.

C’est pour nous dire une fois de plus, comme dans son livre sur l’affaire, que l’innocence de christian Ranucci est pour lui la meilleure galéjade depuis la sardine qui bouche le port de Marseille.

Il rapporte que l’inculpé aurait dit face à son accusatrice du carrefour de la pomme : « Oui c’est moi, mais je suis pas un salaud ». Rappelons qu’en vérité, ce qui est attesté par les policiers eux-mêmes, christian Ranucci a seulement dit « je suis pas un salaud » à deux reprises. Ça tient plutôt de la négation du crime.

 

Concernant la tache de sang sur le pantalon, l’ex commissaire explique que, hélas, son origine n’a pas pu être déterminée. La victime comme le suspect étaient de groupe A.

Cet investigateur qui prétend apporter des éléments nouveaux sait forcément que christian Ranucci était de rhésus négatif. Il tait volontairement que l’on avait a minima 5 chances sur 6 de déterminer de qui provenait ce sang. L’expertise était donc tronquée, sans la moindre justification sur l’absence de déclaration de rhésus, ce que notre homme feint encore d’ignorer.

 

 

 

Au bout de l enquete 06le journaliste

 

Un ancien journaliste à « Détective » reste également persuadé de la culpabilité du condamné.

C’est lui qui avait fait la route avec la mère de christian Ranucci pour ramener la voiture du fils.

Pas question de renier ses articles sur l’affaire.

C’est surement mieux pour sa tranquillité d’esprit. Quand on sait que l’opinion publique, chauffée par la presse, fut vent debout contre l’accusé.

Pourquoi a-t-il tué ?

L’ancien journaliste n’a pas une, mais deux réponses.

« il tue parce qu’il a peur de se faire prendre ».

Vraiment ? Dans ce cas, il ne le ferait pas. Il est censé avoir été repéré par deux témoins qui ont relevé sur sa voiture la plaque numérologique qui n’est pas une fausse.

S’il a peur de se faire prendre, comme l’affirme le journaliste, alors il a tout intérêt à laisser la petite en vie. C’est d’ailleurs ce qu’affirme tous les partisans de la peine de mort :

« l’ombre de la guillotine arrête dans sa  course le bras assassin »

A écouter les propos du chroniqueur, on va finir par croire l’inverse. C’est la peine de mort qui inciterait à tuer !

Ou alors, le coupable n’a plus qu’une solution pour s’en sortir : redescendre vite fait la colline pour supprimer les deux témoins.

 

Le comportement criminel n'a rien de logique dans les propos du journaliste. Mais il décrit christian Ranucci comme un « grand benêt totalement immature ». Il l’a lu dans le compte-rendu des psychologues.

On aimerait également qu’il lise le « récapitulatif ». Les carnets qu’a rédigés le condamné dans sa cellule. Ils ont certes été remaniés par l’éditeur. Mais ils révèlent une acuité d’esprit qu’un journaliste de presse écrite aurait du mal à qualifier de puérile.

On retient bien sûr la maxime restée dans les mémoires :

« A la loterie de la vie j’ai tiré le mauvais numéro sans même avoir pris mon billet. »

 

 

 

Au bout de l enquete 07l’avocate

 

Maître Le Forsonney n’étant plus de ce monde, c’est une assistante ayant travaillé à ses côtés qui en parle.

Cette femme décrit son ancien collègue de travail comme un « jeune pénaliste très fin».

 

Fin, d’accord, mais ne manquait-il pas d’affinage ? Il avait 28 ans, exactement comme maître Collard, l’avocat du camp en face. Lui se rappelle l’effroi d’être projeté dans l’arène quand il arrive au tribunal pour ce procès à dimension nationale.

 

A ce même procès, Monique, l’ancienne petite amie de christian Ranucci est présente à côté de la mère de l’accusé.

L’avocate a dû l’oublier car elle dit de christian Ranucci que « la femme de sa vie c’est sa mère, et rien d’autre autour ».

Rien autour ? Juste à côté on a dit ! On a même la photo.Au bout de l enquete 08

Si monique a décrit christian comme  normal, dommage qu’une autre femme n’ait pas témoigné. Il en était l’amant, et elle était mariée.

L’histoire du jeune homme de 20 ans devenu pédophile car les femmes l’intimidaient, ça ne tient pas.

En revanche, christian Ranucci était bien coupable d’une chose : coupable d’adultère.

 

 

 

Au bout de l enquete 09l’essayiste

 

Une autre femme déclame elle son admiration pour gilles Perrault.

Son propre livre « l’affaire Rambla ou le fantôme de Ranucci », a 3 « posts » pour en faire la réclame sur youtube.

Des « centaines de milliers d’exemplaire » pour le « pull-over rouge » dit-elle admirative, ou envieuse. Mais pour elle, ce best-seller c’est du «story telling ». Et de rajouter :

« C’est tout son talent d’avoir ancré le doute. Et quand le doute est ancré, c’est pratiquement impossible de s’en défaire. »

Elle a bien raison, car le doute est « encré » (on peut l’écrire aussi comme ça), encré dans la réalité.

Pas dans les fariboles d’un paquet qui se transforme en enfant qui parle. Enfant sorti par une portière imaginaire par un satyre qui laisse derrière lui deux témoins et sa plaque d’immatriculation.

Et derrière nous, laissons le doute : on est passé au stade de l’intime conviction d’innocence.

Pourtant notre écrivaine sait aussi faire du « story telling », du « racontage d’histoire » si on traduit littéralement. Dans son scénario de l’enlèvement de la fillette, le garagiste a confondu une Simca avec une Peugeot parce que selon elle « il avait le soleil dans les yeux ».

On se demande bien comment, puisque cet observateur avait le soleil au-dessus de la tête. Entre 11h et midi, l’astre solaire est au zénith, c'est connu. Mais le désastre littéraire de notre écrivaine l’amène au zénith de l’incongru.

A mauvaise déduction bon cœur, car elle a quand même de la compassion pour la famille Rambla « qui (hélas) devient quelque part responsable de la mort de christian Ranucci ».

Quelque part. Où ça ?

Moi je sais. Sur le bureau du bureau du président de la république en juillet 1976.

Une lettre écrite de la main de Mme Rambla :

« Si vous accordez la grâce, alors je ne pourrais plus croire en la justice »

Dans la même émission, gilbert Collard prétend qu’il s’était clairement mis d’accord avec la famille qu’il ne demanderait pas la mort.

Dans ce cas, ses clients l’ont gentiment « doublé ». Résultat payant quand on réclame la mort sur support « encré ».

Le président écrira lui dans ses mémoires que cette lettre pèsera lourd dans sa décision de refuser la grâce.

   

 

 

Au bout de l enquete 10le cousin

 

Dans la famille Rambla, je demande le cousin.

Il a joué un petit rôle dans l’instruction de l’affaire.

C’est lui qui conduit en 1974 le petit jean-baptiste à l’hôtel de Police pour la reconnaissance du ravisseur.

Depuis le petit est devenu grand et a commis deux meurtres. Le cousin en est persuadé : le livre « le pull-over rouge » a empêché l’enfant de faire son deuil tranquillement.

Ce proche de la famille doit quand même savoir que chez les Rambla, on n’en voulait pas du deuil. On faisait comme si leur fille était encore vivante. Tous les soirs, une assiette était prévue à table comme si on allait la voir arriver. Sans être fin psychologue, on imagine combien cette mise en scène macabre pouvait perturber le pauvre petit frère déjà éprouvé.

Plutôt qu’être soutenu, il était culpabilisé. Le cousin se lâche et confirme : « toute sa vie il a été questionné. Et pourquoi, et pourquoi, et pourquoi ! ».

Et par qui ? Ça ne fait pas grand mystère quand la question est : « Pourquoi tu l’as pas reconnu à l'hôtel de police ? Tu as eu peur, tu étais lâche ? ».

Qui d’autre que le père pourrait faire ce reproche.

Sans le savoir, le cousin a trouvé les mots qu’il faut : « il a été questionné ». Le terme est à prendre au sens qu’on lui donnait au moyen-âge : questionné = torturé.

Quand il s’agit d’un enfant de 6 ans on comprend qu’il a subi un calvaire.  

 

 

 

Au bout de l enquete 11le juriste

 

Dans les écoles d’avocat, l’affaire Ranucci est étudiée en exemple sur la manière dont il ne faut surtout pas conduire une enquête.

On attend donc fébrilement l’analyse pertinente de alain Bauer.

Le professeur en criminologie a le rôle d’intervenant technico-juridique dans chacune des émissions. Que pense-t-il de cette affaire de 1974 ?

Il nous fait des révélations sur … l’année 1791. On a droit à un cours d’histoire sur l’invention de la guillotine.

Pour nous offrir un tel « dézoomage » comme on dit, c’est qu’apparemment pour lui ça coince au niveau du cadrage de l’émission. On n’en voudra pas à cet homme qui sait se montrer intègre de contourner le débat. On a même envie de lui en être gré. 

 

 

 

Au bout de l enquete 12conclusion

 

Le cousin de la famille Rambla était présent au procès.

« J’ai le souvenir d’un gars hautain » dit-il de christian Ranucci.

Et de rajouter avec un accent de colère :

« presque l’air de se foutre de la gueule du monde ».

Certains intervenants de l’émission de France 2 laissent la même impression. A défaut de mettre en colère.

 

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire