Panthéonade
Quel est le comble du royaliste ?
Réponse : profaner la tombe de celui qui a supprimé la guillotine.
Robert Badinter, c’est le cas de le dire, aurait de quoi se retourner dans sa tombe.
Un monarchiste est condamné en 2025 pour le vandalisme de sa sépulture.
Mais un abolitionniste se doit-il d'aller fleurir maître Badinter ?
le piège
« Je vous invite au restaurant ! »
Nous sommes le 26 juin 1972. Robert Badinter sort à peine de la gare de Troyes.
Impossible de refuser l’invitation à déjeuner de son confrère. L’un et l’autre doivent dresser une stratégie de défense commune. Chacun de leur client risque pour la même affaire la peine de mort.
« Vous, vous défendez Bontemps. Alors vous ne parlez que de lui. Et vous ne parlez pas de Buffet. Vous me le laissez pour ma plaidoirie. »
Robert Badinter accepte le marché qu’on vient de lui proposer. D’autant que la tâche semble plus facile de son côté. Les actes du double homicide qui sont jugés ne sont a priori pas imputables à son client Bontemps. C’est l’autre accusé, Buffet qui a donné les coups de couteau.
Sauf qu'entre avocats, le coup de poignard dans le dos n'est pas loin …
silence
« Vous avez dit quoi au président ?»
La question est posée à charles Berling dans le téléfilm de 2009.
Il y incarne robert Badinter à la sortie de l’Elysée. Qu’a-t-il argumenté pour demander la grâce de son client ? Le téléfilm se garde bien de le dire.
Robert Badinter bien plus tard « passera aux aveu » sur les ondes.
l’arnaque
La tactique consistait pour chaque avocat à ne défendre que son client. Mais cette stratégie ne fut pas vraiment respectée par l’instigateur.
Quand robert Badinter eut fini sa plaidoirie pour Bontemps, vient le tour à l’autre avocat de défendre Buffet. L’argument est celui-ci :
« Certes, mon client a porté les coups fatals aux deux victimes. Mais cet esprit vif aurait-il agi sans l’initiative d’un comparse « pensant » à sa place ? »
Robert Badinter comprend qu’il s’est fait duper. 6 mois plus tard, face au président Pompidou, il confesse humblement la naïveté dont il a fait preuve. Mais l’argument ne suffit pas à convaincre le chef de l’état. Au lieu d’un guillotiné, il y en aura deux.
cas de conscience
Le juge Michel ne fit rien dans son instruction qui puisse sauver la vie de christian Ranucci. Mais possiblement hanté par le remord, il sacrifia la sienne face aux malfrats.
Robert Badinter fit tout ce qu’il peut pour sauver la vie de Bontemps. Face à cet échec, il voue la sienne à supprimer la peine de mort.
Mais est-il la personne la plus indiquée pour mener ce combat ?
gouaille
« D’toute manière, ê’te cont’ la peine de mort, c’est qu’un truc d’intello ».
Voilà le genre d’argument que votre auteur à lui-même pu entendre. Que répondre à ça …
Monsieur Badinter a-t-il l’argument qu’il faut ?
On se souvient d’un reportage réel au milieu du film « Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvage ». (1968)
Des gens sont interrogés sur une place de marché :
« De toute façon, si on les met en prison faut continuer à les nourrir. Alors les assassins autant tous les tuer. »
Que répondre à cet argument ? Imaginons un instant Mr Badinter débarquant sur ce marché. Et supposons qu’il leur déclame une de ses fameuses tirades :
« En vérité la peine de mort ne défend pas la société des femmes et des hommes libres, elle la déshonore. »
L’honneur, ces braves gens risquent de l’oublier. Et leur sang-froid avec.
le contact
Alors qui sur un marché saura se faire écouter ?
Les partis politiques viennent y tracter.
Affichant un militantisme résolument anti-peine capitale, il y avait « le 1er parti de France ».
Ça fait rire aujourd’hui, mais c’est ainsi que l’on appelait le parti socialiste. Un mouvement politique qui avait encore l’oreille du prolétariat, tant qu’il n’était pas devenu la « gauche caviar ».
Robert Badinter malheureusement n’arrivait qu’à prêcher pour les déjà convaincus.
vedette
Pour les nombreux comités contre la peine de mort en France, robert Badinter constitue un invité de choix.
Hélas, ces associations pleines de bonne volonté peuvent se montrer contre-productives.
Philosopher et disserter sur « l’indispensable avancée civilisationnelle » parait valorisant. Mais ce débat précieux creuse un peu plus le fossé entre lettrés et gens de petite condition.
Car bien souvent être abolitionniste est perçu comme une forme de snobisme. L’apanage de supposés privilégiés, protégés de la criminalité. Une clique de doux rêveurs, voir d’irresponsables utopistes.
Quel que soient les arguments qu’ils avancent contre la peine de mort, ces abolitionnistes passent pour des beaux parleurs, coupés des réalités et raisonnant hors du sens commun.
Face à eux, les partisans de la peine de mort sont plus nombreux. Et pour les esprits primaires : « la majorité à raison ! »
Robert Badinter, malheureusement, ne peut qu’incarner l’élitisme au phrasé compliqué. Les paroles abscondes, parfaites pour vous embrouiller l’esprit.
En revanche, notre avocat fort médiatique était l’invité idéal pour les émissions littéraires. Une prèche sans effet. Car les adeptes du « hachoir national » écoutent peu ce genre de programme.
mythe
« Mais patrick Henry, c’est Badinter qui a sauvé sa tête, quand même ! »
Tous ses admirateurs vous le diront.
Pour eux, la plaidoirie de maître Badinter aurait réussi à retourner le jury au procès de l’assassin du petit philippe Bertrand. Aussi talentueuse qu’ai été cette intervention, elle ne semble pas avoir été déterminante.
La vérité sur la délibération des jurés, il a fallu attendre des années pour la connaître. Normal, puisque la loi leur interdit de communiquer.
Ce que l’on a découvert est tout bonnement effarant. Patrick Henry n’aurait la vie sauve …. qu’au sens du tour de table !
le quorum
A la question « l’accusé est-il coupable ? », les 12 jurés répondent « oui » à l’unanimité.
Vient ensuite : « l’accusé a-t-il des circonstances atténuantes ?»
A cette question le 1er juré répond « non ». C’est plus convenant que « coupez-le en deux ». Bien que ça revienne au même.
Son voisin à ses côté adopte cette même négative qui envoi l’accusé à la guillotine.
Le 3e tient à peu près ce langage :
« Mes convictions chrétiennes m’interdisent de condamner à mort. Mais chacun juge en son âme et conscience. »
Les propos jettent le trouble dans la petite assemblée. Les jurés qui suivent deviennent soudain prudents. A la fin, le quorum indispensable des 8 « non » n’est pas atteint. A une unique voix près seulement, on reconnait des circonstances atténuantes.
Le tour de table s’est-il fait dans le sens giratoire ou celui des aiguilles d’une montre ?
Toujours est-il que si l’on avait choisi le sens opposé à celui adopté, notre catholique rédempteur se retrouvait en 10e position, au lieu de la 3e. Sa tirade ne pouvait alors influencer que 2 personnes au lieu de 9.
Voilà à quoi peut tenir une condamnation à mort : l’ordre du tour de table !
spectacle
Petit, votre narrateur voulait devenir magicien. C’est avec joie que gamin je pu voir pour de vrai, et pas à la télé, le tour de « la femme coupée en deux ».
Le spectacle de prestidigitation avait lieu dans un fête de l’huma de province. Sitôt le numéro terminé, le présentateur intervient au micro.
« Merveilleux spectacle, bravo cher magicien. On peut l’applaudir ! »
Et de rajouter :
« Mais rappelons que nous, au parti Communiste Français, nous sommes résolument pour l’abolition de la peine de mort. »
Un silence gêné parcourt l’assistance.
A Troyes, un autre personne était encore plus gênée : l’un des jurés du procès patrick Henry. Cet homme, boucher de profession, voyait sa clientèle fuir son commerce.
« Mon mari a voté la mort »
Ce libellé fut apposé sur la vitrine par l’épouse. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour redresser le chiffre d’affaire !
dilemme
Gamin, je n’étais pas spécialement contre la peine de mort. Mais j’avais compris une chose : c’est une forme d’injustice.
A chaque procès, l’avocat ressortait à peu près les mêmes arguments. A grand coup de revers de manche on avait droit à :
« L’accusé, ce pauvre malheureux ! Elevé entre une mère affectueuse mais effacée, et un père alcoolique et violent : il était bien mal parti sur le chemin de la vie…etc… »
A écouter le baveux, l’assassin était plus à plaindre que sa victime. Mais moi, enfant élevé dans un milieu familial « normal ». Que se passera-t-il si plus tard je tue quelque qu’un ?
Je serai bon sans la moindre excuse pour le rasoir national !
J’avais compris que la peine de mort était une iniquité. Gilles Perrault plus tard me le démontrera magistralement.
la bombe
Avec « le pull-over rouge » les abolitionnistes ont enfin l’arme qui peut détruire la guillotine.
Que ce soit par le film, le livre, ou seulement l’affiche, le grand public ne peut pas échapper au débat. L’interdiction de projection en cinéma dans certaines municipalités offre une publicité inespérée.
Gilles Perrault, de par son livre démontre définitivement ce qu’est l’arme absolue contre la peine capitale : la crainte du risque d’erreur judiciaire. Elle seule parle efficacement aux esprits dits « simples ».
Robert Badinter utilise bien sûr cet argument. « La justice est faillible » scande-il. Sauf qu’à Billancourt on est obligé de regarder dans le Robert ce que veut dire « faillible ».
la ligue
On l’a oublié, mais il n’y a pas eu que des comités pour l’abolition.
N’hésitant pas à prendre la parole, yves Taron père d’une victime déclarait en 1980 qu’il tuerait l’assassin de son fils quand on l’aura libéré.
En attendant il fonde la « ligue nationale contre le crime et pour l'application de la peine de mort ». Rien que ça.
Par soucis « d’humanisme » cette association demande même à ce qu’on raccourcisse le délai entre la condamnation et l’exécution. Et que l’on raccourcisse le condamné bien sûr.
Le président de la ligue, ce papa frappé par le malheur, incarne pour l’esprit commun l’homme « qui sait de quoi il parle ».
« Tu as tué l'enfant d'un amour. Je veux ta mort, je suis pour. »
Ce n’est pas yves Taron qui dit cela. Mais les paroles d’une chanson. Celle d’une vedette emblématique des années 70, dont le poster ornait les chambres d’adolescentes.
Face à cela, robert Badinter est l’adversaire idéal. Empêtré dans une dialectique qui échappe au plus grand nombre. Et question nombre ils sont toujours plus à réclamer le châtiment suprême.
épilogue
Robert Badinter, c’est « l’homme qui tua Liberty Valence ».
On en fait une légende car la société a besoin de héros. Peu importe qu’un autre ait combattu la peine de mort plus efficacement.
Robert Badinter est à l’image de james Steward dans le western. Il incarne la figure tutélaire idéale pour illustrer une noble cause. D’ailleurs, l’un et l’autre finissent responsable politique de premier plan : sénateur dans le film, ministre pour Mr Badinter.
Reste que l’abolition, notre homme y a consacré sa vie. Au point de l’avoir mise en danger. A ce titre son entrée au Panthéon est raisonnablement justifiée.
Surtout qu’aujourd’hui ce n’est plus qu’un symbole. Un cénotaphe suffit, et on peut faire rentrer un cercueil vide.
Tout est question d’image.
Pour autant, gilles Perrault mériterait tout autant son entrée au Panthéon. S’il s’agit bien sûr de comparer les mérites.
conclusion
Gilles Perrault n’a pas eu droit aux honneurs Nationaux. Pas plus que christian Ranucci n’a été innocenté en révision par la justice.
Mais le livre sur l’affaire a ébranlé nombre de convictions.
Robert Badinter en revanche, n’est jamais parvenu à faire basculer l’opinion contre la peine de mort. Il reste l’homme de discours qui a contresigné la loi d’abolition.
Mais n’en déplaise à ceux qui croient encore à la culpabilité de christian Ranucci, gilles Perrault a son Panthéon à lui. Sa victoire est d’avoir brillamment démontré l’innocence de christian Ranucci. Car pour tout le monde aujourd’hui, l’affaire Ranucci, c’est l’affaire du « pull-over rouge ».
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