le tueur
FICTION
Comment causer la mort de 2 personnes, et se poser en victime ?
Plongeons-nous dans les méandres de l'esprit d'un tueur, pour une fiction qui reprend la trame des faits.
Le film s’ouvre par un gros plan énigmatique. L’image est plutôt inquiétante. Dans la pénombre, un visage crispé par l’effort est en sueur.
Qui est-il ? Que fait-il ?
Derrière les lunettes, grimace de fatigue le visage d’un jeune représentant de commerce en climatiseurs. Il pousse sa voiture sur la pente glissante de la champignonnière où il s’est embourbé.
Un autre plan rapproché nous montre ses mains. Elles glissent des branches d’ormeau sous les roues du véhicule pour leur offrir de l’adhérence.
Ces mains que l'on vient de voir, s’agit-il des mêmes qui apparaissent dans la séquence suivante, filmée en plein jour ?
Les mains disposent des jouets de plage sur la lunette arrière d’une voiture. De quoi attirer le regard des enfants. Mais aussi paraître rassurant pour les adultes. Cette décoration donne à la voiture l'allure de celle d’un bon père de famille.
Un traveling nous fait suivre ces mains qui ouvrent la portière avant, attachent la ceinture de sécurité et vont se poser sur le volant.
La voiture démarre pour aller marauder dans les cités marseillaises.
Le conducteur de la voiture aux jouets de plage, est-ce notre jeune représentant de commerce ?
Cette-fois, nous le retrouvons parti vendre ses climatiseurs.
Le commercial est en tout cas un personnage ambivalent. Une nouvelle séquence nous le montre dire « à la prochaine » à une femme.
« Il repart quand en voyage ton mari ? » rajoute-il rigolard.
Puis on le voit rentrer chez sa mère comme un bon fils. Et sous le regard maternel bienveillant, il joue avec les enfants qu’elle garde.
De nouveau la voiture rode dans les cités marseillaises.
Est-ce notre fiston modèle qui loin du cocon maternel va repérer les enfants ?
( musique de fond légèrement angoissante pour combler le silence de la scène )
A priori, il pourrait peut-être s’agir d’un autre. Car cet homme que l’on voit de dos approcher à pas comptés un groupe d’enfants porte un pull-over rouge. Or le jeune commercial n’aime guère cette couleur.
Mais est-ce bien cette couleur qu’il abhorre, ou plutôt cet autre en lui-même qu’il rejette ?
Celui qui revêt ce pull qu’on ne lui connait pas pourrait bien être son double intérieur. Il s’habille ainsi à chaque fois qu’il veut aborder incognito les enfants quand lui viennent « ses pulsions ».
Le pull rouge a un gros avantage. Il se visualise tout de suite, et il retient l’attention.
Résultat : le reste de la physionomie de son porteur est oublié !
C‘est un principe fondamental bien connu en publicité. En commercial certes débutant mais renseigné, il a vite appris.
Le représentant de commerce n’aime pas le rouge. Mais c’est peut-être qu’il n’assume pas l’homme qu’il devient quand il va chercher le contact des enfants.
Le jeune commercial adopte une image peu flatteuse quand vient le week-end. Derrière le bon fils de famille propre sur lui, il y a aussi celui qui se saoule dans les bars les soirs de week-end.
Il n’a même pas la fallacieuse excuse d’y être entrainé. Ses virées, il les fait tout seul.
Que pourrait-il bien chercher à noyer dans l’alcool ?
Peut-être cet effrayant « mister Hyde » qu’il ne parvient pas à contrôler. Lui qui travaille pourtant chaque jour à donner une présentation si lisse de sa personne. L’image parfaite de l’individu à l’humeur tempérée. Et pour cause : il est représentant en climatiseur.
En 1974 la mode est pour certain l’art d’un débraillé vestimentaire plus ou moins étudié. Cette négligence qui sent bon la contestation n’est pas pour lui.
Il préfère peaufiner sa face rassurante. Comme peut l’être le docteur Jekyll, personnage fort estimable en société.
Alors, le jeune commercial et le satyre des cités marseillaises ne font-ils qu’un même et seul homme ?
Les deux personnalités s’affronteraient dans un même être torturé.
Suite à un accident routier, le jeune commercial se retrouve arrêté et incarcéré.
On retrouve son couteau non loin des lieux d’un crime.
En prison, il livre à son avocat :
« Ce couteau, je reconnais, il est bien à moi. Je vous le dis en toute discrétion parce que vous êtes mon avocat.
Mais s’il est préférable pour moi de le nier, alors je dirai que ce couteau n’est pas le mien. »
Alors, coupable ou innocent ?
Le mystère se lève au moment où le meurtrier arrive au tribunal.
… au beau milieu du public !
Cet anonyme dans la foule qui se presse dans la salle d’audience, c’est l’homme au pull-over rouge. Le vrai.
C’est en badaud qu’il est présent au jugement.
Il est venu voir comme une bête curieuse le jeune représentant de commerce que l’on a arrêté à sa place.
Au dehors, le voyeur a contemplé cette foule qui criait « à mort !». Image pathétique de ce monde qu’il haït depuis toujours.
Cette foule est pour lui à l’image de cette société qui n’a jamais voulu le comprendre, l’accepter avec sa « différence ».
Sans quoi il estime qu’il n’aurait jamais commis l’irréparable.
Cette haine scandée devant le tribunal le conforte dans ses convictions. C’est bien la preuve que c’est la société qui est « malade ». Ce n’est donc pas lui qui a un problème, mais bien le monde où on le fait vivre.
D’ailleurs, cette société qui prétend protéger les gens est pervertie. Car elle est gérée par des incapables qui on n’a pas arrêté le vrai coupable !
L’homme au pull-over rouge n’est pas inhumain au point de souhaiter la condamnation d’un innocent à sa place. Il espère au contraire que le malheureux qu'il observe se débattre dans son box s’en sortira. Pourvu qu’il montre qu’il n’y est pour rien. Pour l'instant, celui-ci a tendance à invectiver les juges.
C'est plutôt mal parti pour cet innocent qui se défend très mal ...
Au 2e jour du procès, l’homme au pull-over rouge commence à ressentir une compassion sincère à l’égard de l’accusé.
Il s’en considère presque comme solidaire.
De son point de vue, ils sont tous les deux victimes d’une société répressive.
Lui est le seul à connaître la vérité. Mais il ne s'est jamais senti ni aidé, ni compris dans la vie. Ce manque le rapproche d'autant plus de l'accusé. Car ses avocats non plus n’aident guère leur client, tant ils peinent à convaincre le tribunal.
Le procès se termine. La sentence tombe. Pas encore le couperet.
A l’énoncé du verdict, l’homme au pull-over rouge observe fixement celui que deux gendarmes s’apprêtent à emmener. Il semble que l’on peut lire sur les lèvres du maintenant condamné : « ils sont fous ! »
« tu as raison mon gars » murmure son observateur comme en écho.
Le vrai meurtrier va-t-il se dénoncer ?
L’homme au pull-over rouge s’est forgé sa propre morale.
« De toute façon, ils ne voudront même pas me croire. J’ai bien vu au procès. Les juges avaient tellement l’air sûrs d’eux ! »
« On doit payer ses fautes » lui souffle un semblant de conscience.
« La faute à qui ?
A ceux qui ont arrêté un innocent ?
Pas question que je paie à leur place ! »
De toute façon, la grâce présidentielle semble acquise.
Donner la mort, il en a fait hélas l’expérience. Mais c’était sous le coup de l’angoisse et de la colère quand il a tué la petite fille.
A l’inverse, si la justice prend son temps pour réfléchir, elle ne peut pas mettre à mort un être humain.
Les préoccupations quotidiennes faisant, les interrogations intérieures de l’homme au pull-over rouge s’estompent.
Jusqu’au jour où il apprend l’exécution. Effroi !
Passé le moment de stupeur, il se passe une main sur le cou, en se disant que ça aurait bien pu être pour lui.
Le sort a choisi que quelqu’un autre paie à sa place.
Comment interpréter ce signe du destin ?
« C’est peut-être pour compenser tout le mal vivre qu’on m’a fait connaître et endurer » se dit-il.
La faute selon lui à une société qui n’a pas voulu l’accepter tel qu’il est, dans sa singularité. Car cet univers, il l’a toujours vu comme profondément inhumain. L’exécution d’un innocent ne fait que le confirmer.
Les évènements dramatiques amènent-ils l’homme au pull-over rouge à moduler et surtout contrôler son comportement ?
Certainement pas !
Il n’a retenu qu’une morale du procès : on peut avoir raison, seul contre tous.
Si la justice est chargée de donner des leçons, voilà celle qu’il a retenue.
La peine de mort est supposée avoir un caractère dissuasif. Sur le coup elle a presque un ressort incitatif : le voilà dans l’impunité !
Les problèmes de conscience ne tiraillent donc guère l’homme au pull-over rouge. Il n’a de toute façon jamais eu l’intention de se livrer à la justice.
Et les faits semblent lui donner raison d'éviter cette institution. Il est le mieux placé pour apprécier que cette « justice » porte pour l’occasion bien mal son nom.
Pas question non plus de s'interdire ses « pulsions ». Ce serait se plier aux règles d'une société qui est dans l'erreur.
Les lois qu’elle édicte servent à tuer un innocent !
Le film s'achève sur une scène de foule en « dézoomage ».
On voit une dernière fois le personnage qui arbore son pull-over rouge sur un marché de Marseille.
Au fur et à mesure que la caméra élargit son champs, le pull devient une tâche rouge moins distincte dans la foule, de plus en plus petite, jusqu’à ne plus être qu’un point qui finit par disparaître.
Tout comme l’assassin que l’on n’a jamais retrouvé.
Explication technique :
A son arrestation en 1974, comme au procès en 1976, personne ou presque ne met en doute la culpabilité de christian Ranucci.
Vouloir recréer l’ambiance de l’affaire Ranucci au cinéma n’admet donc qu’une seule possibilité. Le réalisateur doit le montrer comme coupable. Au début du film tout au moins.
Faire en sorte que le spectateur se suggère par lui-même la culpabilité est aisé. Il suffit de montrer au quotidien le double-jeu qui rythme la vie de Christian Ranucci :
- un VRP impeccable sur lui en semaine, mais volontiers pochard du samedi soir
- un fils aimant et attentionné, mais amant de passage d’une femme mariée
Face à cette personnalité double, voire trouble, le spectateur admet facilement qu’il puisse se faire passer pour l’ami des enfants tout en étant un assassin pédophile.
Quelques procédés cinématographiques bien connus installent l’ambiguïté souhaitée. Des gros plans montrent tantôt les mains, tantôt le dos, mais jamais le visage du satyre. Une caméra subjective l’accompagne dans tous ses déplacements.
Est-ce le jeune commercial dont on nous montre la vie de tous les jours ? C’est la question que se pose le spectateur jusqu’à la scène du procès.
L’idée de l’assassin venant au tribunal comme au spectacle vient d’une hypothèse aujourd’hui abandonnée. Mais c’est le fil conducteur pour comprendre la psychologie du tueur.
Concernant la manière de penser du vrai assassin, on pourrait trouver trop de capacité de réflexion à quelqu’un capable de larder de 15 coups de couteau une petite fille. Mais hélas, celui qui est d’une morale dévoyée trouvera toujours les outils pour se construire des justifications à bon compte.
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