l'opinion publique

l'opinion publique Vs les jurés

 

L opinion publique 01La carabine à air comprimé

pire que le fusil de chasse !

 

Outre l'aspect anecdotique, la comparaison du procès Ranucci avec une affaire plus récente pose le problème du choix des jurés.

 

 

 

L opinion publique 02vox populi

 

Convaincre l’opinion publique est aussi important que convaincre les jurés.

Maître Lombard le sait fort bien.

Le 4 mars 1976, il convie chez lui à diner les journalistes qui couvrent l’affaire Ranucci.

La dizaine d’invités reste malheureusement unanime dans leur total scepticisme. Ils ne peuvent voir le prévenu que comme coupable. Et il en sera de même 6 jours plus tard pour les jurés du procès.

Unanimité également pour déclarer l’absence de circonstances atténuantes, à l’exception d’une voix.

 

Le « grand retournement » tant espéré par l’avocat n’arrivera que bien après. Et hélas trop tard pour son client. 2 ans après l'exécution, le livre « le pull-over rouge » induit le doute. Le film avance l’erreur judiciaire. L’opinion publique finit au fil des ans par se ranger à la thèse de l’innocence.

 

Ce revirement à dimension nationale s’exprime clairement en 2012 au cours d'une émission de radio. Via des mails lus en direct, aucun auditeur ne veut croire les explications de celui qui s’exprime au micro, gérard Bouladou. Il tente de continuer à soutenir contre vent et marée la culpabilité de christian Ranucci.

 

2012 est aussi l’année d’une autre affaire, mais où cette fois-ci l’opinion publique se range du côté de l'accusée au moment du procès.

 

Une femme, appelons-la Mme S., au lendemain du suicide de son fils, abat son mari. Pour sa défense, elle le déclare violent, et incestueux envers ses 3 filles. Les jurés la condamnent à 10 ans de prison. Mais une mobilisation dans l’opinion publique intervient cette fois-ci à temps : la grâce présidentielle permettant d’interrompre la peine est obtenue.

Le lendemain, une station de radio nationale avance que plus de 80% d’auditeurs sont satisfaits de la décision.

 

Faudrait-il faire plus confiance à l’opinion publique qu’aux jurés ?

Une comparaison plus détaillée des 2 affaires montrent que leur enchainement diffère énormément.

 

 

 

L opinion publique 03les jurés

 

Le tribunal criminel ( cour d'assise ) avec ses jurés est apparue il y a plus de 200 ans en France.

Ce système a progressivement été copié une peu partout dans le monde.

 

Mais aujourd’hui, de par la multitude des médias disponibles, n’importe qui peut se tenir au courant des tenants et aboutissants d’une affaire. De là, chacun a la possibilité de se faire sa propre opinion.

Alors, est-il encore raisonnable de confier la destiné d’un justiciable à l’avis d’une dizaine de citoyens tirés au hasard sur les listes électorales ?

La réponse est évidente : « ça dépend qui ! »

Ça dépend de qui, certes. Mais aussi de quoi : de qu’elles informations disposent ces jurés.

 

Et sur ce point, les affaires Ranucci et S. ne sont pas parties à égalité.

 

 

 

L opinion publique 04le procès

 

Pas d'antécédent judiciaire et un casier judiciaire vierge.

Difficile de faire endosser à christian Ranucci le costume du criminel sadique.

On trouve bien des voisins qui l’auraient vu adolescent s'exercer au tir avec une carabine à air comprimé.

Argument grotesque ! On ne peut quand même pas retenir ce genre d'anecdote pour le sérieux d'une instruction devant un tribunal. 

Mais dans un procès où le ridicule tue, et bien si, on ose !

« C’est interdit de tirer avec une carabine à plomb ? » s'insurge christian Ranucci depuis son box.

La remarque, comme ses autres répliques est mise sur le compte de son insolence. Le reste du portrait à charge qui est fait de lui évoque une enfance ballotée de ville en ville, sous l’emprise d’une mère avec laquelle il entretenait un rapport considéré comme « troublant ».

L'accusé grimace en contractant ses joues pour exprimer son légitime dédain pour ce récit. Il se donne quand même la peine de fustiger point par point le tableau que l'on fait de sa vie. Ce qui agace autant la cour que les jurés.

 

Quelle que soit l'intention de cette "enquête de moralité" aussi partiale que subjective, elle atteint un but qui pourrait réjouir ses initiateurs : l'accusé sort de ses gonds. Ce n'est pas l'envie qui manquerait à quiconque soumis à ce genre de lynchage moral. Mais le résultat est dramatique pour l'accusé : il se "grille" définitivement devant la cour et les jurés.

 D'un autre côté, trop de passivité aurait été interprétée comme une forme d'acquiescement. Mais christian Ranucci n'a pas choisi de se la jouer "trouvons le juste-milieu".

 

Qui que soit le malhonnête qui a conduit cette prétendue enquête de moralité, sa fourberie n'en est pas moins payante. Et quand la malhonnêteté d'un enquêteur est gratifiée devant un tribunal, le comble est atteint.

 

Dans le cas du procès de Madame S. les jurés ont droit à des faits concrets. Ils sont informés qu’elle avait appris à se servir, non pas d’une carabine à plomb, mais d’un fusil de chasse. Cela n’a rien d’interdit non plus. Mais faut-il le reconnaitre, le tir à la chevrotine cadre mal avec l’image d’une femme supposée timorée et soumise.

 

Les voisins parlent d’un mari colérique.

Violent aussi ?

Ils ne se risquent pas à l’affirmer.

 

Il y a bien une pièce officielle qui pourrait étayer cette violence. Un certificat médical fait état d’ecchymoses, sans évidemment pouvoir en attester l’origine. Et surtout, c’est un document récent, supposé attester de mauvais traitements sur une période de 47 ans de vie commune.  

 

Le mari était en tout cas doux ... avec sa maîtresses. Cette même maîtresse qui dû se réfugier dans un commissariat ... poursuivie par l’épouse trompée !

Cette fois, l’image de la femme fragile et renfermée a définitivement "pris du plomb" si l'on peut dire.

Les jurés ont donc de plus en plus de mal à comprendre comment cette épouse, avec a priori de la ressource et du tempérament, n’a jamais eu le courage de franchir le seuil d’un commissariat pour porter plainte.

Reste l’acte qu'elle a commis sur son mari. Autant dire qu'il n’incite guère à l’indulgence.

 

 

 

L opinion publique 05le crime

 

Dans l’affaire Ranucci, circule sur le banc des jurés des photos horribles.

Il s’agit des clichés noir et blancs de la petite victime, telle qu’elle a été retrouvée. Lardée de coups de couteaux, et le crâne fracassé à coup de pierre.

Les jurés ne sont pas idiots. Ils savent bien que la seule vue de ces photos, même commentées par le médecin légiste, ne suffit pas à déclarer comme l’auteur de cette monstruosité l’homme qu’ils peuvent voir bien vivant dans son box entre deux gendarmes.

Il n’empêche que le fort potentiel émotif que suscite ces images, et leur description, altère nécessairement l’objectivité de leur raisonnement. On peut rester pétrifié devant ces clichés, pour ensuite rester imperméable à toute argumentation de la défense.

 

Dans le cas de Mme S, on ignore si les jurés ont pu visionner les images du mari gisant sur la terrasse de la maison. Ce qu’ils savent tous en revanche, sans avoir besoin d’être expert en armes à feu, c’est qu’un fusil de chasse ne peut tout au plus que contenir 2 cartouches.

Ils peuvent donc imaginer la scène où le mari reçoit les 2 décharges de chevrotine dans le dos. La position retournée écarte par nature l’hypothèse de la légitime défense. Mais il y a aussi le coup de grâce. Il faut pour cela ouvrir la canon, extraire les 2 étuis encore chauds et fumants, introduire la munition, refermer le canon, viser et appuyer sur la détente. ( 3 kg de pression ! )

 

Le 10 février 2016, un reportage télévisé de marie Drucker diffuse l’interview d’une femme qui a tué. Elle nous décrit ce moment. « Ça s’est passé si vite. L’instant d’après je ne comprenais pas ce que j’avais fait ».

 

Le cas de Mme S. est tout autre. Pour envoyer la 3e cartouche il faut un peu de temps et beaucoup de détermination. Elle n'a pas pu restée pétrifiée devant son acte.

Les jurés présents dans la salle d'audience se sentiraient tous a priori capables de pousser la porte d’un commissariat pour déposer plainte. D’ailleurs ils sont bien venus à la convocation du tribunal. En revanche, il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir enchaîner chacune des phases qui aboutissent à ce qu’un homme gise dans son sang, abattu de 3 tirs de fusil de chasse presque à bout portant.

Le fils de la famille s’est suicidé la veille. Mais sa mère, quand elle appuie sur la détente ne le sais pas encore. Ce n’est pas cela qui la pousse à presser la gâchette.

Pas de légitime défense donc. Pas de légitime « déférence » non plus de la part du jury. Juste 10 ans de condamnation réclamés et obtenus.

 

 

 

L opinion publique 06l’appel

 

Mme S. fait appel de sa condamnation. 2016 : nouveau procès. Nouveaux jurés.

Et ... nouvelle condamnation à 10 ans.

 

40 ans auparavant, l’appel en cour d’assise n’existait pas encore pour christian Ranucci.

Maître Lombard n’a pas droit à sa 2e chance, pour plaider sans extinction de voix. Maître le Forsenney perd l’occasion de ne pas faire double-emploi avec son confrère et employeur. Et le désistement du 3e avocat ne se fera pas oublier.

En 1976, il ne reste pour seul espoir que la clémence présidentielle.

 

 

 

L opinion publique 07la grâce

 

Pour maître Collard, la grâce de christian Ranucci est acquise d’avance.

« sans le moindre doute ! » dira-t-il même plus tard.

Si l'épilogue lui donne tort,  il ne fait hélas que refléter ce qu'était l’opinion générale en 1976.

Cette assurance trompeuse sur la grâce acquise d'avance justifie le peu d’émoi et l’absence de mobilisation à l’annonce de la condamnation. Il n’y a qu’à attendre !

C’était sans compter avec « le grain de sable ». Le 26 juillet 1976, le petit vincent Gallardo (6 ans) est enlevé et tué, qui plus est dans la même région. L’avocat qui vient tout juste de demander la grâce au Président de la République l’apprend dans sa voiture. Christian Ranucci est exécuté le surlendemain.

 

Dans le cas de Mme S., c’est totalement l’inverse. Les évènements extérieurs lui profitent.

Durant la nuit de la Saint-Sylvestre en Allemagne, à la gare de Cologne, plus de 500 femmes sont victimes d’agressions sexuelles. En France, les mouvances féministes hésitent sur la manière à témoigner leur solidarité avec ces femmes. Le risque est de pointer du doigt des réfugiés étrangers.

Les femmes françaises « libérées » n’en sont pas moins totalement soumises au dictat du « pas d’amalgame - pas de stigmatisation ». L’affaire de Mme S. est le contre-feu idéal pour détourner le regard sur ce qui se passe outre-Rhin.

Sont-elles molles nos féministes françaises ? Pas quand la situation ne dérange guère leurs convictions immuables. On se mobilise pour faire circuler une pétition réclamant l’élargissement de Mme S.

Les féministes trouvent un appui précieux auprès des 3 filles de la condamnée. Les malheureuses auraient subi les outrages de leur père. Pourtant, elles ont depuis toutes les 3 faits leur vie. Et l’ainée a donc mis 35 ans pour évoquer cet inceste.

Pour les féministes, peu importe le doute sur ces attouchements dans le cadre familial. Le « coupable » n’est plus là pour en faire le déni. Alors on engrange les signatures sur la pétition, en sollicitant le show-biz et des personnalités. Et au final, ça paie !

La grâce présidentielle est accordée le 31 janvier 2016.

 

 

 

La poursuite 13conclusion

 

Le procès Ranucci et celui de Mme S. ont au moins un point commun.

Les jurés ont dans les 2 cas pris une décision en concordance avec les informations reçues.

La différence est que ces informations étaient insuffisantes dans le cas Ranucci.

Une instruction précipitée, un PV de « tapissage » inexistant, un certificat de légiste sans heure de décès, une reconstitution bâclée, et des témoignages à décharge que l'on décrédibilise.

On comprend dès lors l’unanimité sur la culpabilité, et la fermeté sur l’absence de circonstances atténuantes.

 

A l'inverse, personne, même les féministes, n’ont pu remettre en cause la manière  sérieuse et objective dont l’instruction de l’affaire de Mme S. a été menée. Pas plus que le caractère équitable du déroulement du procès.

Nos jurés de 2016 ont donc prononcé une peine de 10 ans que l’on a droit de considérer comme équilibrée, car reposant sur des bases solides. La grâce présidentielle "complète" a du intervenir le 28 décembre 2016 pour libérer madame S. Une grâce certes complète, mais qui n'efface pas la condamnation.

Le parquet, qui n'a jamais voulu céder, n'a pas manqué de le faire rappeler par le biais du syndicat de la magistrature, faisant entendre la voix de la raison.

 

La raison n’a en revanche même pas laissé le bénéfice du doute à christian Ranucci. Pas plus qu'il n'eut de comité de soutien. Et si son parcours de justiciable est une suite ininterrompue de malchances, l’opinion publique a finit, mais hélas trop tard, par croire à son innocence.

Pour cela il a fallut une enquête approfondie, avec des informations auxquelles n’avaient jamais eu droit les jurés de 1976. 

    

Le livre « Le pull-over rouge » s’ouvre par cette dédicace : « pour les jurés ».  Certains ont pu s’en offusquer. « On ne savait pas tout », « on a voté a partir de ce que l’on avait entendu ». Et tout cela est hélas tristement vrai.

C'est le grand malheur des jurés. Après celui du supplicié.

 

 

 

       

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