2024 : le récapituleur (suite)
Les aveux de christian Ranucci ont-ils été obtenus sous la contrainte ?
« Pas du tout ! » lance sûr de lui que l’on dénomme comme nous le verrons plus loin « le récapituleur ».
Comment peut-il affirmer l’absence de contraintes, voir de tortures ?
Grâce à « l’élément inédit » : christian Ranucci a livré à la police une information qu’elle ne pouvait pas savoir.
Sauf que cette information, il s’agit … de l’alibi !
refrain
En juin 2024 sortait sur le site d’un hebdomadaire national un article sur l’affaire Ranucci.
Son auteur : le récapituleur. Ainsi dénommé car il s’appuie sur le "récapitulatif" (les écrits du condamné) pour vouloir démontrer sa culpabilité.
Fort de sa publication en juin, l’auteur était le mois suivant l’invité de jean-alphonse Richard sur RTL.
Chemise à carreaux, barbe et moustache naissante, le récapituleur a l’allure des joyeux godelureaux de Licence IV. Sauf que le refrain n’est pas « viens boire un p’tit coup à la maison ». Mais plutôt « viens voir mon p’tit scoop que j’ai raison ».
Car notre interviewé se targue une fois encore de démontrer par une nouvelle approche la culpabilité de christian Ranucci.
démonstration
D’emblée, le récapituleur balaie l’une des aberration de l’enquête de 1974.
Le « paquet » vu par les témoins. Paquet qui devient ensuite un enfant, et qui finalement se met à parler.
« Simple défaut de transcription des gendarmes » à en croire le jeune journaliste.
Les fonctionnaires de gendarmerie auraient selon lui hésité avant de consigner qu’il s’agissait bien d’un enfant qui aurait été vu près du carrefour de la Pomme par le couple de toulonnais.
Gilles Perrault parlait « d’évolution positive » pour évoquer un témoignage qui finissait par convenir aux conclusions des enquêteurs. Pour le récapituleur, il y aurait seulement eu une sorte de « remise à niveau » dans les procès verbaux.
Pareil pour l’enfant sorti de la voiture par le ravisseur. Le récapituleur parle de la portière droite. Il passe sous silence que la témoin avait précisé la portière arrière. Autre manière tout aussi cavalière d’évincer les aberrations. Car on sait que le coupé Peugeot de christian Ranucci n’avait pas de portière sur les sièges arrière.
Reste que le récapituleur s’attache surtout à faire ressortir « l’élément inédit ».
le détail
La recherche de l’élément inédit est essentielle dans l’affaire Rannuci.
10 ans auparavant, l’assassin du petit luc Taron était confondu par l’illustré que possédait l’enfant le jour de son enlèvement. Lucien Léger évoqua aux policiers le bi-mensuel « bugs bunny », détail jamais diffusé dans la presse. Un élément qui signait de manière indubitable le lien entre le prévenu et sa victime.
C’est le genre d’information qui manque dans l’affaire Ranucci. En garde à vue il aurait donné le nom de la poupée de Marie-Dolorès, ou celui du pitre dans la classe de la petite fille, et l’on pouvait se faire une certitude, comme quoi l’un et l’autre auraient bien été en contact.
Mais rien de tout cela dans les aveux. Seulement que la petite aurait dit qu’elle voulait rentrer car c’était l’heure du déjeuner.
Avec un arrêt de ¼ d’heure sur le bas-côté en quittant Marseille, pour une pose cigarette, c’est bien pauvre et nullement révélateur en matière de dialogue.
Et pourtant, le récapituleur est sûr de lui : « il y a dans les aveux l’élément inédit ».
le copain
Christian Ranucci est interrogé par les policiers sur ce qu’il était venu faire à Marseille.
Il répond qu’il passait voir un copain d’armée. Cet ami habitait justement près de la cité Saint-Agnès, lieu de l’enlèvement.
On sait aujourd’hui que l’alibi est crédible. La raison en est : quelques jours avant le drame, christian Ranucci rencontre un autre camarade de régiment. Un niçois comme lui, auquel il propose de l’accompagner à Marseille, pour reformer le trio.
Evidemment, les policiers ne savaient pas ce qu’était venu faire le prévenu à Marseille. Evidemment aussi, cet alibi fait fléchir les motifs de culpabilité du gardé à vue.
Mais par une pirouette d’esprit audacieuse, le récapituleur transforme l’alibi en acte d’accusation. Comment justifie-t-il pareil retournement ?
Son argument est qu’il s’agit d’un élément inédit. Par conséquent, les policiers ne pouvaient pas l’inventer. De là, le récapituleur en conclue arbitrairement que la suite des aveux est tout aussi véridique. Si christian Ranucci a fourni un alibi sans contrainte (on s’en doute), alors pour le jeune journaliste tout le reste qui à l'inverse l’accuse aurait été exprimé tout aussi librement.
On marche sur la tête !
Imaginons : que serait-il advenu si christian Ranucci n’avait pas donné d’alibi ? Alors on serait en droit de croire que les aveux … sont truqués.
Car le raisonnement du récapituleur conduit à penser que donner un argument pour sa défense revient à se désigner comme coupable.
On marche sur le tête, et peut-être bien celle de christian Ranucci qui est tombée, car on piétine sa mémoire.
Mais le paradoxe ne s’arrête pas là. Le récapituleur croit dur comme fer à cet alibi - tout en soutenant avec véhémence la culpabilité ! Le propos quitte le simple paradoxe pour flirter avec la schizophrénie.
la convocation
« Le copain de régiment a été retrouvé » claironne triomphalement le récapituleur.
C’est bien de le dire. Car en revanche on n’a jamais retrouvé sa déposition à la préfecture de police de Marseille. Le camarade de régiment est pourtant interrogé dans les locaux un mois après le début de l’affaire.
« J’ai épluché tous les éléments du dossier » m’avait dit gilles Perrault « jamais je n’ai eu lecture de ses déclarations. ».
Il est vrai que cette déposition avait tout intérêt à disparaître. Imaginons que ce type arrive au tribunal d’Aix-en-Provence en mars 1976 pour fournir un alibi à celui qui est dans le box des accusés. Et qu’en plus il atteste qu’il est tout à fait équilibré et nullement asocial.
Voilà le témoignage qui pouvait renverser une situation désastreuse pour l’accusé. Et mettre à plat les médisances d’autres appelés interrogés par les policiers. Leurs propos infamants n’ont en revanche pas été « perdus », soigneusement consignés dans le dossier.
Si le récapituleur veut véritablement faire du travail de journaliste, ce serait bien de retrouver ces soi-disant copains d’armée de christian Ranucci.
intuition
Quand un acteur ou un chanteur devient une vedette, accoure toujours une flopée de petits malins.
Ils clament à qui veut les entendre qu’ils sont les premiers à avoir repéré son talent avant tout le monde.
Pour quelqu’un qui fait la une des journaux, mais cette fois désigné comme un assassin, on trouvera tout autant quantités d’obscurs. Ils se vanteront un brin supérieurs d’avoir décelé chez l’individu des travers supposés criminels.
En 1974, la France entière apprend qu’un certain christian Ranucci est le meurtrier d’une petite fille à Marseille. Certains, qui ont connu ce nom en garnison, en Allemagne, se gaussent de décrire un personnage peu recommandable. Un tel déballage garantit en général un relatif succès dans l’entourage.
Mais que sont-ils aujourd’hui ces fanfarons. Ont-ils mauvaise conscience ? Se sentent-ils trahis ou manipulés alors qu’ils n’avaient que 20 ans ?
Si ça se trouve, il en reste encore un qui est fier de lui.
exceptionnel
Si notre ami le récapituleur veut vraiment faire le métier de journaliste, ce serait bien qu’il essaie de retrouver ces retraités trop tranquilles.
Leur demander la tête qu’ils ont fait le jour où celle de l’homme qu’ils avaient vilipendé est tombée dans la sciure.
Ces demi-aides-bourreaux ont par leurs mots poussé leur copain d’armée vers la guillotine. On peut aujourd’hui considérer que leur témoignage serait exceptionnel. Exceptionnels au sens littéral du terme. Car il est désormais révolu le temps où l’on pouvait par la médisance tuer en dénigrant un accusé.
« Je l’ai envoyé vers la mort et je m’en veux encore ».
Cela ferait un préambule accrocheur pour l’article de presse, n’est-ce pas ?
conclusion
Si vous avez un alibi, ne le dites surtout pas : ça vous rendrait coupable.
Tel est l’aberration où le récapituleur verrait lui une logique. Heureusement qu’il est journaliste et pas avocat !
Mais s’il veut se faire connaître par la plume, une enquête totalement inédite lui garantirait une exclusivité : retrouver les « témoins d’immoralité ».
Ces appelés du contingent qui en Allemagne prétendaient avoir côtoyé christian Ranucci. Aujourd’hui à l’âge de la retraite, ils seraient certainement fort disponibles pour répondre et se confier.
Que le récapituleur se presse d’aller les voir avant que certains ne perdent pour de vrai la mémoire, s’ils ne le simulent pas déjà.
Et lui aura ses chances de rester dans la mémoire du journalisme. Il deviendrait l’homme qui aura interviewé les derniers fossoyeurs inconscients de christian Ranucci.
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